Inde et Pakistan

Inde

Selon le quotidien The Pioneer, « l'Inde est en guerre avec elle-même ». En réalité, elle n'a jamais cessé de l'être depuis la déclaration d'indépendance, en 1947, le règlement des conflits du Cachemire, du Pendjab et de l'Assam ayant toujours été reporté. Pourtant, en 1993, le gouvernement a mené une contre-attaque vigoureuse contre le séparatisme.

La réduction du fractionnisme territorial

Au Cachemire, 400 000 militaires, policiers et garde-frontières ont été mobilisés depuis le 15 juin dans le cadre d'une offensive présentée comme décisive. Dans l'esprit du gouvernement, l'annihilation des groupes de résistance armés permettrait d'organiser des élections et de mettre un terme à l'état d'urgence décrété en 1989. Au Pendjab, après dix années d'une guerre civile qui a coûté 20 000 morts, les partisans du Khalistan indépendant ont subi des revers très durs. Alors qu'il avait été dépourvu de gouvernement pendant six ans, le Pendjab est de nouveau régulièrement administré, la frontière de l'Inde et du Pakistan est devenue beaucoup plus hermétique et les principaux chefs de la résistance ont disparu. L'un des derniers adjoints de Sant Bhindranwale, le leader indépendantiste tué en 1984 lors de l'assaut du Temple d'Or d'Amritsar, Gurbachan Singh Manochahal, a été débusqué dans son refuge souterrain et abattu le 28 février. Dans l'État de Manipur, aux confins de l'Assam et de la Birmanie, l'armée est en état d'alerte depuis le massacre, en septembre, d'une centaine de villageois, perpétré par les partisans du Nagaland. En tout état de cause, l'apaisement des conflits territoriaux ne sera obtenu que lorsque la négociation relaiera la répression.

La menace des fondamentalismes religieux

Alors que l'Inde vient de se donner les moyens d'éteindre les points chauds du Cachemire et du Pendjab, les tensions intercommunautaires, auparavant limitées à des États frontaliers, se sont brusquement diffusées dans les grandes villes de l'intérieur. La destruction de la mosquée d'Ayodhya, le 6 décembre 1992, a donné lieu à de nouvelles confrontations. Les émeutes musulmanes se sont soldées par plus de 2 000 morts et de 4 000 blessés, l'armée ayant été autorisée à tirer à vue. Le terrorisme musulman a pris le relais des manifestations de rue, particulièrement à Bombay, le 12 mars ; il a suscité la réplique des hindouistes, le 17 et le 19 mars, à Calcutta. D'autres actes de terrorisme sporadiques ont prolongé cette période de violence au cours de l'année.

Auparavant, les affrontements religieux étaient freinés par l'action modératrice du parti du Congrès, qui était soigneusement à l'écoute de toutes les communautés. Or, désormais, le Congrès est concurrencé par le Bharatiya Janeta, le parti du peuple hindou, capable de mobiliser les foules en s'appuyant sur l'émergence d'un fondamentalisme religieux hindou. Mais la minorité musulmane (12,5 % de la population) est assez forte pour réagir aux excès des manifestations hindouistes. Le transfert des luttes intercommunautaires vers les grandes villes est, pour l'Inde, une menace plus grave que celle qu'entretenaient les vieux conflits territoriaux.

L'ouverture asiatique

La réévaluation des alliances qui avait suivi le retrait de l'armée soviétique d'Afghanistan et la disparition de l'URSS s'est accélérée dès le début de 1993. Sans renouer les liens privilégiés du passé, le voyage du président Boris Eltsine en Inde, le 27 janvier, a permis de résoudre les problèmes les plus urgents. La dette indienne a été rééchelonnée sur 45 ans sans intérêts et elle sera réglée en partie en roupies, que les Russes utiliseront pour financer leurs achats en Inde. La compréhension manifestée par la Russie a autorisé la conclusion d'un nouveau traité d'amitié entre les deux États. Ce retour de la Russie n'a pas affecté l'entente avec les États-Unis, qui se sont dégagés du Pakistan et qui apprécient la libéralisation économique entreprise par le Premier ministre, Narasimha Rao.

Conforté par ce soutien, celui-ci a ouvert ensuite le dialogue avec la Chine lors d'une visite à Pékin, où il a été accueilli du 6 au 9 septembre. La Chine, qui a perdu ses appuis en Russie et aux États-Unis, recherche l'apaisement en Asie. Un premier résultat a été obtenu : dans les territoires contestés de l'Himalaya, des relations régulières sont désormais établies entre administrations et armées chinoise et indienne.

Inde : mousson meurtrière

À la fin du printemps et au cours de l'été, les inondations ont ravagé 14 des 25 États de l'Inde et atteint particulièrement le Bihar, à l'est de la plaine du Gange, et l'Assam. Près d'un demi-million de sinistrés ont dû être secourus dans le Bihar et on dénombre 1 200 morts dans l'ensemble de l'Inde.

Protection du patrimoine en Inde

Le marbre du Tadj Mahall, le tombeau de l'impératrice Mumtaz Mahall, à Agra, a perdu sa blancheur initiale par suite de la multiplication des rejets d'oxyde de soufre à proximité du monument. Le 27 août, la Cour suprême de l'Inde a ordonné la fermeture de 212 établissements industriels qui ne respectaient pas la législation à Agra et aux environs. La réouverture est subordonnée à l'installation d'équipements évitant la pollution.

Pakistan

Alors que la libéralisation économique commençait à donner des résultats encourageants, l'action du gouvernement a été entravée par les désaccords entre le Premier ministre, Nawaz Sharif, et le président, Ghulam Ishaq Khan. Hostile à un projet de réforme réduisant ses pouvoirs, le président a dissous l'Assemblée en mai et renvoyé le Premier ministre, l'accusant « d'incompétence, de corruption et de népotisme ». Nawaz Sharif a répliqué par une campagne politique nationale pendant laquelle il a proposé de « lyncher le vieux », c'est-à-dire le président Ghulam Ishaq.

Le chaos politique

Le pouvoir judiciaire et l'armée ont dû intervenir pour résoudre la crise. Les décisions du président ont été invalidées le 26 mai par la Cour suprême, qui a confirmé les pouvoirs de l'Assemblée nationale et réintégré le Premier ministre. Malgré cette décision, l'affaiblissement du pouvoir central a laissé libre cours à des affrontements armés entre mouvements politiques et, lors des fêtes chiites, entre communautés religieuses. « Le pays est au bord de la guerre civile », constatait l'ancien chef du gouvernement, au pouvoir de 1988 à 1990, Benazir Bhutto, de retour sur la scène politique. Une fois de plus, l'armée a joué un rôle décisif en obtenant, le 20 juin, la démission simultanée du président et du Premier ministre, la nomination d'un chef de gouvernement agréé par tous les partis, Moeen Qureshi, et le transfert des pouvoirs présidentiels au président du Sénat, conformément à la Constitution. Garante de la régularité des élections qui ont lieu le 6 et le 9 octobre, l'armée a laissé se dérouler le scrutin sans entraves ni intimidation, selon les observateurs de la CEE. Mais la courte victoire de Benazir Bhutto et du Parti du peuple (86 des 215 sièges) sur Nawaz Sharif et la ligue musulmane (72 sièges) est inquiétante : un gouvernement de coalition sera-t-il en mesure de garantir la stabilité politique qui fait défaut depuis plusieurs années au Pakistan ?

Pakistan : le changement en 96 jours

Chef de gouvernement intérimaire le 17 juillet, chargé de préparer les élections, Moeen Qureshi, ancien vice-président de la Banque mondiale, s'est attaqué aux grands problèmes fonciers en taxant la production agricole, a supprimé ministères et ambassades trop coûteux, a contraint les hommes politiques endettés à rembourser leurs prêts, a institué la peine de mort pour les fabricants et trafiquants de drogue. Le 18 octobre, il cède la place à Benazir Bhutto, mais sa cote est au plus haut niveau dans l'opinion publique. Il reste un capital d'avenir.

Le Pakistan, puissance nucléaire

Ce que l'on pressentait est devenu officiel : le chef d'état-major de l'armée a révélé le 22 juillet que le Pakistan avait réussi ses premiers essais nucléaires en laboratoire dès 1987 et qu'il n'avait pas tenu compte des pressantes interventions diplomatiques des États-Unis, qui ont finalement suspendu toute aide militaire au Pakistan. L'Inde disposant de l'arme atomique depuis 1974, un conflit nucléaire régional deviendra possible à court terme en Asie méridionale.

Le « croissant d'or » pakistano-afghan pourrait supplanter un jour le « triangle d'or » d'Asie du Sud-Est : les trafiquants de drogue de la région ont en effet produit 1 025 tonnes d'opium en 1992 (contre 2 532 aux frontières du Laos, de la Thaïlande et de la Birmanie). Le Pakistan a raffiné 17,5 tonnes d'héroïne en 1992, dont près de 25 % seraient destinés à l'Europe et aux États-Unis, l'essentiel de la production étant à usage local. Le gouvernement de transition de Moeen Quresthi a multiplié les actions contres les trafiquants, créé une unité anti-drogue de 200 hommes et institué la peine de mort pour les fabricants et les trafiquants, ce qui n'a pas manqué de provoquer la panique chez les « barons » de la drogue, dont plusieurs se seraient enfuis en Afghanistan.

Sri Lanka

L'un des chefs de l'opposition, Lalith Athulathmudali, et le chef de l'État, Ranasinghe Premadasa, ont été assassinés en moins de dix jours, le 23 avril et le 1er mai. L'attentat contre le président a été perpétré par un homme bardé d'explosifs dont le sacrifice a provoqué 20 morts et 60 blessés. Accusée, la résistance tamoule a nié toute participation à ces actions terroristes. Un règlement de compte entre le Parti national unifié, qui soutenait le président, et le Front démocratique national unifié, qu'Athulathmudali menait aux élections, est aussi plausible, dans la mesure où l'élimination violente des adversaires politiques devient une pratique courante au Sri Lanka.