Bande dessinée
Presse spécialisée
Il est loin le temps où la bande dessinée se déclinait exclusivement sous la forme d'illustrés et où chaque semaine le jeune lecteur se rassasiait de courts épisodes d'une ou deux planches mettant en scène ses héros de papier préférés. Depuis quelques années, l'album cartonné et luxueux a supplanté le modeste périodique, et la disparition en 1993 des revues Vécu (éditions Glénat) et Hello Bédé (éditions du Lombard) ne fait qu'amplifier le phénomène. Reste que les quelques magazines encore sur le marché semblent se porter plutôt bien ; en témoigne Fluide glacial (éditions Audie) qui fête en grande pompe la sortie de son 200e numéro en février 1993.
L'édition en mouvement
Après plusieurs années florissantes, les éditions Glénat se retrouvent confrontées à d'importantes difficultés de trésorerie et réduisent sensiblement leur masse salariale. Au chapitre artistique, un frein est mis sur la publication de nouvelles créations, à l'exception notable des collections « Grafica » et « 2 heures et demie ».
Les jeunes dessinateurs qui jusqu'alors pouvaient faire leurs premières armes à travers quelques courts récits se retrouvent bien souvent dans l'impossibilité d'être publiés du fait de la disparition progressive de la presse. La collection « Grain de sable » des éditions Vents d'Ouest pourrait à moyen terme se substituer aux revues spécialisées.
Quelques ouvrages indispensables
Marcel Gotlib propose J'existe, je me suis rencontré aux éditions Flammarion. Plus qu'une simple autobiographie, comme pourrait le laisser supposer le titre, ce livre empli tout à la fois d'humour et de tendresse (cachée sous des dehors provocateurs) se dévore d'une traite.
Tout en continuant d'animer les séries Thorgal et Hans aux éditions du Lombard, Grzegorz Rosinski s'associe avec le scénariste Jean Dufaux et se lance dans la Complainte des landes perdues, une saga se déroulant au cœur d'Eruin Dulea, une étrange contrée où se mêlent la violence, la magie, les luttes de pouvoir et l'onirisme. Proche d'une certaine littérature anglo-saxonne, cette bande dessinée, éditée chez Dargaud, s'impose comme une parfaite réussite.
Délaissant le genre historique, François Bourgeon s'associe pour un temps avec Lacroix et réalise le Cycle de Cyann, une longue saga de science-fiction toujours superbement mise en images et proposée chez Casterman.
Véritable exorcisme, C'était la guerre des tranchées de Jacques Tardi se veut une succession de chroniques sur la Première Guerre mondiale. Seules l'horreur ordinaire, la dureté d'une époque, l'injustice et l'absurdité semblent avoir droit de cité dans ce recueil. Prenant à contre-pied les poncifs du genre, l'auteur d'Adèle Blanc-Sec signe avec cet album, publié par Casterman l'un de ses chefs-d'œuvre, proche dans son ton et dans son propos de certains écrits de Louis-Ferdinand Céline.
Après avoir goûté aux plaisirs de la télévision, Fred revient à la bande dessinée avec l'Histoire du corbac aux baskets. Maniant tout à la fois l'absurde et une logique imparables, ce poète au grand cœur promène son drôle d'animal dans un univers déglingué, confronté aux explosions intempestives de friteuses et aux diagnostics inopérants d'un curieux psychiatre. Cet ouvrage figure sans conteste parmi les plus réjouissants, les plus suprêmement intelligents de cette année 1993.
Nécrologie
Parmi les disparitions de l'année, signalons celles du Belge Jacques Laudy (l'un des premiers dessinateurs de l'hebdomadaire Tintin), de l'Américain Harvey Kurtzman (le fondateur de Mad) et de l'Argentin Alberto Breccia (le dessinateur de Mort Cinder).
Patrick Gaumer
Coauteur du Dictionnaire mondial de la bande dessinée, Larousse, 1994.