La France doit, sous peine d'hypothéquer lourdement la croissance des années à venir par des taux d'intérêt et des impôts excessifs, contenir un déficit qui s'accroît spontanément sous l'effet de dépenses mal maîtrisées. Cependant, les mesures nécessairement restrictives déjà prises ou à prendre – dans le domaine de la santé, des retraites ou de la non-déductibilité fiscale de la CSG, par exemple – s'inscrivent dans une stratégie plus complexe qui comporte aussi nombre de mesures favorables à l'expansion : stimulation de la construction de logements, réactivation d'une épargne quasi dormante en sicav de trésorerie surrémunérées à l'aide d'un emprunt qui a rapporté 110 milliards au lieu des 40 demandés, lancement d'un programme de privatisations brillamment commencé avec la BNP, allégements d'impôts annoncés pour 1994 et ciblés sur l'impôt sur les familles à revenus moyens...
À société complexe, État complexe ; il n'est sans doute au pouvoir d'aucun gouvernement responsable d'engager des stratégies plus claires et plus simples.
La crise du SME
L'été a été une fois de plus troublé par de graves événements. La crise du SME, qui a fâcheusement éclaté en juillet, a été dénouée le 1er août sur un satisfecit de façade des autorités monétaires européennes. La décision d'élargir les marges de fluctuation à + ou – 15 % autour des taux pivots inchangés est techniquement habile : elle conserve le cadre juridique d'un SME qui fut longtemps favorable au développement des échanges intercommunautaires. Les autorités monétaires françaises, sincèrement attachées au principe d'un franc stable, n'entendent cependant pas, pour le moment, jouer avec des taux dont il n'est pas prouvé que l'effet sur la relance serait si net. La baisse des taux courts ne doit pas faire renaître des anticipations inflationnistes qui élèveraient le taux d'intérêt à long terme. De plus, la Banque de France reconstitue patiemment ses réserves et rembourse ses emprunts.
Techniquement habile, l'accord de l'été s'avérera pourtant néfaste. La nouvelle situation reporte l'incertitude sur les spéculateurs mais aussi sur les entreprises françaises et européennes, qui se sont lancées irréversiblement dans l'aventure du grand marché sans frontières et doivent consentir des coûts supplémentaires pour se couvrir contre les risques de change. Les distorsions de concurrence à l'intérieur de l'Europe pourraient devenir intenables maintenant que les barrières s'effacent entre les douze pays de la CE.
Le gouvernement poursuit toutefois une politique monétaire prudente et baisse graduellement ses taux d'intérêt en respectant l'esprit des orientations européennes. Ce constat joue un rôle dans la bonne tenue des cours de Bourse, qui bénéficient d'autres éléments favorables : épargne liquide abondante peu à peu canalisée vers des emplois plus productifs ; placements moins attractifs sur un marché immobilier stagnant ; redressement de nombreuses entreprises françaises, solidement implantées dans le monde.
Bref, la France maintient le cap
Mais la solidarité des Français et leur moral sont rudement éprouvés par des évolutions traumatisantes. S'il est exact que l'intensification de la concurrence (induite dans les négociations du GATT) favorisera à terme l'apparition d'emplois nouveaux, le temps requis pour obtenir ce résultat dépasse sans doute les délais supportables par la population.
Alain Bienaymé