L'économie française en 1993

Nous commencions l'an dernier cette chronique en prenant la précaution de rappeler qu'à l'automne 1992, au moment de sa rédaction, les informations recueillies sur les deux premiers trimestres laissaient prévoir officiellement une croissance de 1,8 % pour l'ensemble de l'année 1992. Bien que la performance fût considérée comme médiocre, la prévision péchait par excès d'optimisme. En effet, après le tournant de la croissance du deuxième et du troisième trimestre, l'économie entrait en récession au quatrième, de sorte que, sur l'ensemble de l'année 1992, la croissance atteignit, en fait, à peine 1,2 %. Ce genre d'erreur, communément commise en France et ailleurs, vient de notre incapacité à saisir avec la précision et l'exactitude souhaitables la conjoncture du moment dans son véritable déroulement. À l'automne 1993, une incertitude plane sur la nature de la stabilisation observée. Au total, le PIB marchand baisserait de – 0,7 % en 1993 (estimation INSEE), soit d'un taux compris entre 0 % et – 1 %, selon que les optimistes et les pessimistes pondéreront plus les effets expansionnistes (relance du bâtiment, réactivation de l'épargne par l'affectation de l'emprunt Balladur, allégements annoncés de l'impôt sur le revenu 1993) ou les effets déflationnistes des mesures prises dès 1993 par le gouvernement Balladur (relèvement de la CSG, alourdissement des taxes sur l'alcool, le tabac, l'essence, gel des traitements des fonctionnaires, réduction des remboursements de la Sécurité sociale). Quel que soit le scénario de la fin de l'année 1993, les syndromes de la récession française demeurent inquiétants à trois égards.

Notre économie rentre dans le rang, mais avec un taux de chômage très élevé pour une nation industrialisée. Notre politique économique louvoie entre des difficultés contradictoires. Notre société met en doute la pertinence de ses choix économiques profonds.

La fin de l'exception française est l'une des conséquences inévitables de l'ouverture, par ailleurs bénéfique, de notre économie aux échanges mondiaux. Notre panne de croissance est d'abord imputable chronologiquement à la modération de nos exportations. Après des années brillantes, nos ventes souffrent du ralentissement de la « demande mondiale adressée à notre pays » qui, d'après l'INSEE, ne progresserait plus que de 1,3 %, au lieu des 4 % enregistrés en 1992. En réalité, les industriels français concentrent trop leurs efforts de vente sur des marchés en recul : Allemagne, Europe de l'Est, pays en crise, tandis que les dévaluations de la livre, de la lire et de la peseta nous créent des difficultés.

La baisse des dépenses de consommation

Ce phénomène, inconnu depuis longtemps, s'explique par plusieurs causes : la dévalorisation du patrimoine immobilier pousse les propriétaires, traditionnellement plus économes, à épargner davantage ; le niveau élevé des taux d'intérêt incite les ménages les plus endettés à rembourser plus vite leurs créanciers ; enfin, l'extension du chômage incite chacun à la prudence. Le taux d'épargne des ménages a ainsi continué de progresser au premier semestre jusqu'à 13 % du revenu disponible. Il pourrait baisser au second semestre en raison de la diminution des avantages fiscaux accordés aux placements en sicav de trésorerie et du souci de limiter la répercussion de la baisse du pouvoir d'achat et les niveaux de consommation.

La baisse des exportations et le tassement de la consommation n'encouragent pas les entreprises à développer leurs dépenses d'investissements. De fait, celles-ci ont diminué pour la troisième année consécutive. Ce repli touche plus encore l'équipement de l'industrie manufacturière que l'investissement productif total (– 4,1 % en 1991, – 6,3 % en 1992, – 5 % prévision 1993). Certes, les taux d'intérêt nominaux ont diminué de 2 à 5 points, selon les échéances, depuis fin 1992 ; mais ils demeurent encore élevés en termes réels et leur diminution ne compense pas la dégradation de la rentabilité de l'investissement industriel.