La stabilisation et la reprise de l'activité dépendent cependant essentiellement d'une reprise de la consommation intérieure. Les effets d'une limitation des taux d'intérêt, éminemment souhaitable en soi, ne peuvent être que progressifs, compte tenu d'un taux d'utilisation des capacités de production qui a chuté de 89 % à moins de 80 % en trois ans. Enfin, il n'est nullement certain que les capacités de production excédentaires correspondent à celles qui seront requises pour attaquer de nouveaux marchés à l'extérieur.
Un chômage qui n'en finit pas d'augmenter
Si la France échappe moins qu'autrefois aux vicissitudes des cycles conjoncturels, elle souffre aussi d'un handicap persistant : celui d'un chômage particulièrement élevé et croissant. Le taux de chômage global devrait augmenter d'un point et demi (soit 11,8 % en moyenne annuelle 1993 et 12,8 % en fin d'année) par rapport à la moyenne de 1992. Il continue à être approximativement du double pour les adultes de moins de 25 ans. Or, au-delà de l'allégement des charges pesant sur les entreprises, la loi quinquennale sur l'emploi, adoptée en octobre, ne semble pas avoir pris la mesure des changements de comportements et des décisions à prendre dans plusieurs domaines essentiels, et notamment un fort développement de la formation par alternance, afin que celle-ci devienne à terme quasi la règle pour tous au lieu d'une solution offerte en désespoir de cause à une minorité de jeunes aux résultats scolaires médiocres.
La France a cru pouvoir conjurer le chômage en appliquant le slogan lancé dès 1981 d'après lequel 80 % des jeunes devraient, en l'an 2000, atteindre le niveau du bac. Le processus sera achevé bien avant cette date. Mais l'illusion sera d'ici là dissipée : la France n'a pas besoin d'avoir dans sa population active 80 % de cadres, ni même 50 %, ni même 30 %. La composition des emplois nouveaux offerts dans les pays les plus développés ne comprend qu'une part limitée de postes hautement rémunérateurs et qualifiés. Rien ne justifie donc un allongement inconsidéré de la durée des études générales pour la très grande majorité des élèves, ni un stationnement aussi long de la minorité des élèves des lycées d'enseignement professionnel, qui les isolent de la vie en entreprise. Les entreprises et les administrations devraient pouvoir accueillir en stage de formation en alternance une proportion beaucoup plus grande (cinq fois plus si l'on se réfère à l'exemple allemand) de jeunes, dès l'âge de 16 ans, quitte à ce que l'Université ouvre ses portes plus largement à ceux qui pourront faire état d'une expérience professionnelle qualifiante.
D'autre part, les progrès de productivité induits par la modernisation accélérée des techniques donnent à penser que, quelle que soit l'expansibilité de la demande de consommation, la durée du travail devra être réduite. Le procédé qui consisterait à abaisser la durée hebdomadaire de travail à 32 heures porte en germe trop de contradictions (baisse des salaires, désorganisation des entreprises, etc.) pour que l'on puisse en attendre un significatif développement de l'emploi. Il est possible que, d'ici peu d'années, la durée moyenne du travail baisse à 35 heures par semaine ou moins, mais la nouveauté résidera dans une plus grande dispersion des durées individuelles comme des salaires correspondants. Enfin, le financement de la protection sociale, notamment des allocations de chômage, devra sans doute être révisé.
La multiplication des dérapages
La politique économique louvoie entre des difficultés contradictoires. Ainsi, après un premier dérapage des finances publiques, intervenu en 1992 (avec un déficit constaté de 226 milliards au lieu des 90 milliards figurant dans la loi de finances votée fin 1991), un second glissement est intervenu en 1993. Sur la foi (!) de chiffres fortement surestimés de la production de 1992 (effet de base) et d'une croissance prévue pour 1993 (+ 2,6 %), le gouvernement Bérégovoy a fait adopter une loi de finances comportant un déficit limité à 165 milliards de francs. Des erreurs aussi lourdes appelaient un correctif que justifia le rapport Reynaud. En mai dernier, le déficit prévisible pour 1993 de 340 milliards était explicable par 120 milliards de moindres recettes et 55 milliards de dépenses imprévues. En y ajoutant le solde cumulé du régime général de la Sécurité sociale, d'environ 95 milliards, et le déficit des collectivités locales (20 milliards), la France aurait porté le besoin de financement des administrations publiques à 6 % du PIB. Cette dérive appelait d'urgence une révision budgétaire, mais la tâche est malaisée en une période de récession qui appelle des mesures de relance. Aussi le collectif budgétaire voté en juin combina-t-il des mesures d'effet restrictif (économies budgétaires, augmentation des taxes sur le pétrole et les alcools, de la CSG et des cotisations UNEDIC) et des mesures d'effet expansif (remboursement accéléré de la TVA, allégement des cotisations familiales, allocations de rentrée scolaire relevées, dépenses supplémentaires financées sur le produit de l'emprunt Balladur). Au total, 58 milliards de mesures d'effet restrictif, et un peu moins de 100 milliards de mesures d'ordre expansif ont été prises en quelques semaines.