La communauté : à l'anglaise ?
Grand marché
L'année 1993 s'est ouverte pour la Communauté européenne sur l'entrée en vigueur, au 1er janvier, du « grand marché », c'est-à-dire la suppression des frontières entre pays membres pour la circulation des marchandises, des capitaux et des services. Ce projet, que les Douze avaient inscrit en 1986 dans l'« Acte unique », n'est pas complètement achevé puisque, en ce qui concerne la libre circulation des personnes, les accords dits de Schengen, conclus seulement entre 9 des 12 pays membres, ne sont pas entrés en vigueur en 1993. La France a d'abord estimé que les dispositions d'application étaient encore insuffisantes pour garantir une protection efficace contre la criminalité ou l'immigration clandestine. Puis elle a demandé un nouveau report, en principe jusqu'en février 1994, pour introduire dans sa Constitution les modifications nécessaires.
Mais, surtout, la concrétisation de ce nouveau pas vers l'intégration que représente le grand marché n'a pas eu d'effet régénérateur pour la Communauté. Autant, lorsqu'il avait été conçu quelques années plus tôt, ce projet avait galvanisé les enthousiasmes en faveur de la construction européenne, autant sa mise en œuvre et la nouvelle perspective de l'« Union européenne » promise par le traité de Maastricht ont rencontré en 1993 indifférence et scepticisme, voire franche hostilité, dans une large partie des opinions européennes. Si les procédures de ratification du traité sur l'Union européenne ont pu finalement être menées à bien, permettant à ce texte d'entrer en vigueur à partir du 1er novembre, la Communauté n'est pas pour autant sortie, loin s'en faut, en 1993 de la période de déboires dans laquelle elle était entrée l'année précédente.
Blocages
La récession persistante en Europe a continué de faire pâlir les espoirs de prospérité traditionnellement attachés à l'intégration communautaire. Tétanisée à l'intérieur par le problème du chômage (affectant en moyenne 10,5 % de sa population active), la Communauté n'a pu se targuer d'aucun véritable succès dans son action extérieure : les négociations sur le commerce mondial (GATT) ont empoisonné pendant toute l'année les relations entre ses pays membres. En matière de politique étrangère, la Communauté, absente de la scène proche-orientale où s'est produit l'un des bouleversements les plus marquants de l'année, s'est enlisée un peu plus dans l'ex-Yougoslavie. Enfin, la confiance en l'Europe a été fortement ébranlée, à l'été 1993, par une nouvelle crise monétaire, les spéculateurs s'en prenant cette fois, contrairement aux crises précédentes, à l'une de ses monnaies les plus saines : le franc.
Le pire a certes été évité lors de cette nouvelle tempête monétaire : une solidarité franco-allemande s'est manifestée et le système monétaire européen (SME), créé en 1979, a été sauvé. Mais ses règles de fonctionnement ont dû être modifiées, lors d'une réunion d'urgence des ministres des Finances des Douze dans la nuit du 1er au 2 août, de telle façon que le SME a perdu, provisoirement au moins, ce qui était sa caractéristique essentielle : les marges de fluctuation des monnaies ont en effet été élargies de part et d'autre du cours pivot de 2,25 à 15 %, ce qui fait passer la bande de fluctuation à 30 %. Cet épisode a considérablement renforcé le scepticisme envers le projet d'Union monétaire contenu dans le traité de Maastricht.
À la carte
Ce traité a franchi avec bien des peines en 1993 les derniers obstacles à sa ratification, le rejet par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, en octobre, des recours déposés contre lui par des citoyens allemands ouvrant enfin la voie à son entrée en vigueur le mois suivant. Le Danemark, qui, un an auparavant, avait donné le signal du grand mouvement de reflux de l'Europe dans les opinions par un « non » retentissant au premier référendum sur le traité, a de nouveau convoqué les électeurs sur le sujet au mois de mai. De leur avis dépendait en large partie l'attitude de la Grande-Bretagne, où John Major avait bien du mal à faire face à la coalition anti-Maastricht qui s'était constituée à la Chambre des communes. Entre les deux consultations, les dirigeants danois avaient négocié avec leurs partenaires un ensemble de dérogations qui réduit considérablement leurs engagements dans le cadre du traité, notamment en ce qui concerne l'Union monétaire et les projets de défense européenne commune. Le « oui » l'a ainsi emporté au Danemark le 18 mai, mais l'Europe « à géométrie variable » était entrée dans les faits. Le 2 septembre, la Grande-Bretagne, après 15 mois de débats parlementaires, ratifiait elle aussi, par voie parlementaire, un traité qui la dispensait de participer à la politique sociale commune et lui laissait le loisir, le moment venu, d'adopter ou de refuser la monnaie unique européenne.