Il y a, d'abord, le rejet de la gauche qui – c'est bien normal – aiguise les appétits. Après onze ans d'exercice du pouvoir, l'usure est certaine. Les affaires Urba et Sages de financements occultes et, plus dramatiquement, le scandale du sang contaminé accélèrent le désaveu. Bref, l'alternance est à portée de main. Avec, à la clé, le poste convoité – et stratégique pour l'avenir – de Premier ministre. Qui, de l'UDF ou du RPR, aura le plus grand nombre de députés pour occuper l'hôtel Matignon ? Mais avant tout, faudra-t-il ou non cohabiter ? Si oui, pour appliquer quel programme ? Pour adopter quelle attitude à l'égard du chef de l'État ? Autant de questions, autant de positionnements tactiques et d'occasions de se démarquer pour Giscard et Chirac. Il y a, ensuite, la montée en puissance de l'ancien chef de l'État : longtemps « décroché » par son rival, le président du conseil régional d'Auvergne, réélu sans surprise en avril, s'est refait une santé à l'occasion du référendum sur Maastricht. Européen convaincu, il a ressoudé, pendant la campagne référendaire, l'UDF derrière lui. Même si dans les sondages il reste encore loin derrière Chirac, Giscard se remet à y croire. Il y a, enfin, l'annonce, en septembre, de la maladie de François Mitterrand – un cancer de la prostate : elle relance l'éventualité d'une élection présidentielle anticipée. Et du même coup, à droite, le choc des ambitions.

Sans doute, ni Chirac ni Giscard n'ont intérêt aujourd'hui à faire, comme dans le passé, figures de diviseurs. Leur électorat ne leur pardonnerait pas. L'ancien chef de l'État a pu le mesurer quand, le 18 octobre, invité de l'émission d'Anne Sinclair, « 7 sur 7 », sur TF1, il a quasiment fait acte de candidature à l'Élysée et esquivé la question des primaires. Un mois plus tard, devant le conseil national de l'UDF, il a dû faire marche arrière : « Il n'y aura qu'un seul candidat de l'opposition au premier tour de la prochaine élection présidentielle. » Bravo ! Mais pour combien de temps ? Giscard sait que, dans le cadre d'une primaire avec le maire de Paris, les sondages ne lui sont pas favorables. Mais que, au second tour, face à un socialiste, il conserve toutes ses chances. L'« union de l'opposition » résistera-t-elle à ce dilemme ?

Scandale du sang et Haute Cour

« Je viens vous demander de m'accuser de fautes que je n'ai pas commises. » Le 19 décembre, dans une ambiance de psychodrame, à la tribune de l'Assemblée nationale, Laurent Fabius, le visage fatigué et le ton grave, demande sa propre mise en accusation devant la Haute Cour pour « non-assistance à personne en danger » dans l'affaire du sang contaminé. Dénonçant un « rite sacrificiel », une procédure « bafouant la présomption d'innocence », dans une ultime volte-face, l'ancien Premier ministre, qui, à l'inverse de Georgina Dufoix et d'Edmond Hervé, avait été « blanchi » par les parlementaires, décide finalement de lier son sort à celui de ses anciens ministres. « Tel est le prix de la vérité et de l'honneur », explique-t-il. À la quasi-unanimité, les députés et, le lendemain, les sénateurs voteront la mise en accusation. À la Cour de cassation désormais de prendre en charge l'instruction et de se prononcer, vraisemblablement, après les élections législatives du mois de mars, sur le non-lieu ou le renvoi en Haute Cour des trois dirigeants socialistes. Le malheureux « responsable mais pas coupable », lancé par Georgina Dufoix pour dédouaner les politiques et leur rôle dans le scandale du sang contaminé a fait long feu. Triste fin d'année – et de législature – pour le pouvoir. Un véritable désastre. « L'annus horribilis des socialistes », le « Trafalgar politique de Fabius », comme le note la presse. En quelques jours, de tergiversations en dérobades, de maladresses en émotions mal contrôlées, les socialistes et Laurent Fabius en tête vont commettre une erreur politique monumentale. Se disant « innocenté » par l'opposition qui ne l'inclut pas dans l'acte d'accusation, Laurent Fabius, dans un premier temps, donne l'impression de se désolidariser de ses deux anciens ministres. Colère des députés socialistes qui s'opposent alors à leur premier secrétaire et refusent la Haute Cour pour Georgina Dufoix et Edmond Hervé. Certes, le lendemain, mesurant l'ampleur des dégâts, ils rectifient le tir. Mais trop tard. Le mal est fait. À quelques mois des législatives, les socialistes donnent, une nouvelle fois, l'impression de se dérober, de s'autoamnistier, de vouloir fuir leur responsabilité. Politiquement, un désastre. Les hésitations de Laurent Fabius semblent l'avoir, pour longtemps, déconsidéré. Aux yeux des siens et à ceux de l'opinion. À tel point que certains se posent la question de savoir s'il pourra rester à la tête du PS.