Chroniques politiques

L'affaire Habache

Le 29 janvier, peu avant 22 heures, un avion sanitaire se pose au Bourget. À son bord, Georges Habache, 67 ans, le fondateur et le leader du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), l'une des branches les plus radicales de l'OLP. Malade, le terroriste palestinien a reçu l'autorisation d'être hospitalisé dans l'hôpital parisien Henri-Dunant, l'un des 500 établissements de la Croix-Rouge. S'ouvre alors en France une crise politique majeure, l'une des plus importantes du second septennat de François Mitterrand. Pendant les 66 heures de présence de Georges Habache sur le territoire français – il sera remis dans un avion le 1er février, après la levée de sa garde à vue –, le pouvoir socialiste va trembler sur ses bases, sa diplomatie mise à mal. Et les Français vont s'interroger sur la manière dont le pays est gouverné.

À gauche (à l'hôtel Matignon, notamment) comme à droite, des voix s'élèveront pour réclamer les têtes de Roland Dumas et de Philippe Marchand, ministres des Affaires étrangères et de l'Intérieur. Au PS, peu convaincus depuis longtemps par la méthode Cresson, des caciques souhaiteront ouvertement le départ du Premier ministre. Valéry Giscard d'Estaing, avec derrière lui les ténors de l'opposition, demandera une dissolution de l'Assemblée nationale. En vain. Mais le chef de l'État, le 4 février, devra monter en première ligne pour défendre le gouvernement. Le Parlement sera convoqué en session extraordinaire, le 7.

Comment une telle « bavure d'État » a-t-elle pu se produire ? Comment un tel dysfonctionnement du pouvoir a-t-il été possible ? L'affaire Habache est, en réalité, une succession d'erreurs. Elle illustre l'excès de pouvoirs des cabinets ministériels, le danger du cumul des fonctions et les risques de l'irresponsabilité du politique. Quand, le 27 janvier, le Croissant-Rouge palestinien prend contact avec la Croix-Rouge française, dirigée par Georgina Dufoix (qui est également conseillère de François Mitterrand), cette dernière saisit le Quai d'Orsay et la Place Beauvau. Sans avertir ni l'Élysée ni Matignon. À partir de là – Georgina Dufoix n'a-t-elle pas l'oreille du président ? –, la procédure est lancée. Jusqu'à l'arrivée au Bourget du terroriste palestinien, le 29 janvier au soir, tout sera géré par les cabinets ministériels. À l'insu des politiques. Un glissement de pouvoir dangereux. En visite officielle dans le sultanat d'Oman avec Roland Dumas, François Mitterrand n'est prévenu que le 30 au matin. « Ils sont tous fous. Ils n'ont pas de sens politique... » s'exclame-t-il. En un instant, lui a mesuré l'ampleur des dégâts. De retour à Paris le jour même, le chef de l'État fait tomber des têtes. Le Quai d'Orsay est décapité, François Scheer, le secrétaire général, et Bernard Kessedjian, le directeur de cabinet de Roland Dumas, sont limogés. Remerciés Christian Vigouroux, le no 2 du ministère de l'Intérieur, et Georgina Dufoix, chargée de mission à l'Élysée. « Je n'ai porté qu'un regard humanitaire » plaide-t-elle. Mais ces mesures ne suffiront pas à calmer les esprits. Les Français comprendront mal que seuls des « lampistes » soient sanctionnés et qu'aucune responsabilité politique ne soit reconnue.

Les élections régionales

Le 22 mars, pour la première fois depuis trois ans, les Français sont appelés aux urnes. Ils votent pour élire à la proportionnelle départementale à un tour leurs 1 829 conseillers régionaux. Le même jour se déroule le premier tour des élections cantonales. Au soir des résultats, c'est un paysage politique totalement bouleversé qui sort des urnes. À l'occasion d'une consultation sans enjeu national, les électeurs se sont défoulés. Conséquence : un dimanche noir pour le pouvoir en place et morose pour la droite classique. Les partis protestataires engrangent. On disait les Français las, voire dégoûtés, de la politique. Erreur. Le 22 mars, contre toute attente, ils se déplacent en masse : 2 électeurs sur 3 (68,7 % de taux de participation). Mais, en faisant preuve de civisme, ils en profitent pour censurer les partis dits « de gouvernement ». Ils expriment leur ras-le-bol des appareils, des discours stéréotypés et des structures qui ne prennent pas assez en compte la réalité quotidienne. Première victime de leur mécontentement : le Parti socialiste. Avec 18,3 % des suffrages, il est réduit à un noyau qui ne représente pas le cinquième de l'électorat. Jamais, depuis le congrès fondateur d'Épinay, en 1971, le PS n'avait connu pareil échec. Les éléphants du parti sont humiliés, ils paient le rejet de la politique gouvernementale et l'usure du pouvoir qui les touchent. Onze ans après l'arrivée de François Mitterrand à l'Élysée, rien ne résiste. Et surtout pas les grands bastions réputés imprenables, le Nord-Pas-de-Calais en tête. Seul le Limousin restera « rose ».