Gorbatchev encore président de l'URSS, qui tente d'affirmer sa foi communiste, doit, en quelques semaines, se renier totalement pour sauver un pouvoir qui n'est plus que d'apparence. Il doit alors abandonner le secrétariat général du Parti, dont il tient en dernier ressort son poste de président, puis rompre à son tour avec le Parti.

Un arrangement à trois

Ce reniement tardif et forcé ne suffira pas à le sauver. Car il est président d'un État fantôme, la fédération soviétique, dont le cadre géographique ne cesse de rétrécir et les contours politiques d'évoluer.

Lénine décrivait le système soviétique comme la combinaison de l'électrification avec le pouvoir des soviets. En 1991, le système soviétique se définit par la combinaison du Parti communiste, qui en est l'âme et le ciment, avec le fédéralisme qui coordonne l'espace si divers. Le Parti mis à l'écart avant d'être pratiquement mis hors la loi, reste le fédéralisme, que Gorbatchev s'acharne encore à sauver dans les dernières variantes de son traité d'Union et auquel l'indépendance ukrainienne va porter un coup fatal.

Le 18 octobre 1991, huit républiques et Mikhaïl Gorbatchev au nom de l'URSS signent à Alma-Ata l'accord donnant naissance à la Communauté économique des États de ce qui n'est plus tout à fait l'URSS, mais un ensemble en transition que nul ne sait définir encore. Cet accord est la dernière étape de la mort de l'URSS. La Communauté économique, dont le contenu est imprécis, les acteurs réduits (8 + 1 au lieu de 9 + 1 quelques mois plus tôt à Novo-Ogarievo), apparaît comme un substitut à l'Union politique dont nul, sans Gorbatchev, ne veut plus même débattre.

Tous les regards sont déjà tournés vers l'étape suivante, le vote ukrainien. Il apparaît clairement aux acteurs principaux de cette scène soviétique qui se défait – Boris Eltsine, et le puissant président du Kazakhstan Nursultan Nazerbaev – que l'Ukraine marche à l'indépendance. Et si l'Ukraine se sépare de l'URSS, comment la Russie pourrait-elle y rester ? Déjà, Boris Eltsine plaide pour la suppression totale de l'URSS et pour que soit reconnu l'État russe, successeur de l'État soviétique au niveau international et militaire.

Quand, le 1er décembre, l'Ukraine vote pour l'indépendance et élit Kravtchouk (vote significatif car Kravtchouk, haut dignitaire du PC dont il s'est séparé tardivement, a été fort hésitant à l'heure du putsch avant de se rallier à ceux qui s'y opposaient ; mais il défend la thèse de l'indépendance de la République et ses électeurs décident qu'homme d'organisation et d'ordre, il est probablement le plus à même de mener à bien, sans soubresauts, l'entreprise d'émancipation nationale), la Biélorussie décide de suivre la même voie, et pour la Russie, il n'est d'autre solution que de substituer à l'URSS un arrangement à trois. Le 8 décembre, à Minsk, les trois présidents slaves décrètent donc que l'URSS a cessé d'exister, qu'une Communauté des États slaves est mise sur pied. Mikhaïl Gorbatchev hésite, envisage de faire appel à la volonté populaire contre les chefs d'États séparatistes, mais se convainc rapidement que la cause est perdue. Le 17 décembre, il doit capituler, constater avec Boris Eltsine que l'heure est venue d'accepter la fin de l'Union, prévue pour le 31 décembre. Il espère encore être l'arbitre des négociations à venir pour mettre sur pied la nouvelle structure, la Communauté des États indépendants (CEI) que ceux qui voudront viendront rejoindre.

Mais sa capacité à arbitrer est récusée. Président de l'Union à laquelle il s'est désespérément accroché, il ne peut, pensent ses interlocuteurs, participer de manière impartiale à sa mise à l'écart. Il lui reste à négocier les conditions de son départ. L'année 1991 s'achève sur la mort de l'URSS et la démission de son président. Et toutes les républiques musulmanes, ainsi que l'Arménie, viennent peu à peu rejoindre la nouvelle communauté. Est-ce là une nouvelle variante de l'ex-URSS ?

L'hypothèque ukrainienne

La mort de l'URSS, la naissance de la communauté nouvelle s'opèrent d'abord dans les pires conditions économiques. L'immobilisme gorbatchévien des années 1988-1991 a eu pour effet d'achever de briser tous les ressorts économiques d'un pays déjà engagé sur la voie du sous-développement. Le chômage caché, l'inflation sournoise, la pénurie galopante, tel est le legs des années 80. Quelle politique neuve fonder sur un tel désastre ? C'est le défi auquel l'équipe Eltsine doit faire face.