La politique de Boris Eltsine s'opposait à la sienne. Dès le printemps, ce dernier se présenta non en rival, mais en porteur de l'alternative au pouvoir soviétique tel qu'il existait depuis 1917. Alternative démocratique, puisque Boris Eltsine demandait à ses compatriotes russes s'ils voulaient pour leur république un président élu au suffrage universel. Ce qu'il obtint par un oui massif, ce fut la possibilité d'opposer à la légitimité du tenant du pouvoir en URSS – Gorbatchev –, une nouvelle légitimité. Celle que confère le suffrage universel, mais aussi celle que la Russie pourrait, après avoir élu un président, opposer à l'URSS dont le président non élu était contesté par un nombre croissant de républiques. Légitimité personnelle et légitimité nationale contre légitimité conférée par un Parti communiste dont la société se détachait toujours plus et que des dirigeants prestigieux – Eltsine, Sobtchak, Popov, etc. – avaient abandonné avec éclat au lendemain du XXVIIIe congrès.

En dépit de l'opposition de Gorbatchev et du PC à un tel mode d'élection d'un président de République, Boris Eltsine fut élu le 12 juin à la présidence de la Russie. Avec plus de 57 % des voix, il triomphait des candidats que le Parti lui avaient opposés et des pressions que ce dernier avait exercées sur les électeurs partout où il le pouvait. En même temps que lui triomphèrent deux candidats au suffrage universel dans les deux capitales russes, Sobtchak à Leningrad, Popov à Moscou ; enfin Iouri Afanassiev, candidat dans un district de Moscou, partisan infatigable de la démocratie intégrale et de la liquidation de l'Union.

Une double URSS

Le 12 juin marque ainsi une rupture radicale de l'histoire commencée en 1917. La Russie n'est plus identifiée à l'URSS, elle en devient le principal adversaire, le porte-parole d'une nouvelle version des rapports entre républiques. La Russie devient aussi le modèle de la démocratie en marche, qui rejette dans le passé soviétique les efforts de réforme politique de Mikhaïl Gorbatchev.

L'idée de lier choix national et élection présidentielle au suffrage universel gagne au demeurant du terrain. La Géorgie, qui élit Zviad Gamsakhourdia, un ancien dissident, avec 87 % des voix à la magistrature suprême, se prononce par là-même pour son programme d'indépendance totale, qu'il proclame dans la foulée de l'élection. Dès lors, presque toutes les républiques annoncent des élections présidentielles.

La plus importante, après l'élection de Boris Eltsine, se tient dans un tout autre contexte, le 1er décembre, en Ukraine où, à l'instar de ce qui se passa à Tbilissi, l'élection du président Leonid Kravtchouck a pour conséquence immédiate l'indépendance sur laquelle les électeurs se prononçaient le même jour.

De cet usage nouveau – imprévu – fait par Mikhaïl Gorbatchev des élections (puisqu'elles modifient ou rejettent le système soviétique au lieu de le rénover) sort dès l'été 1991 une URSS double. D'un côté le centre, le Kremlin, encore dominé par Mikhaïl Gorbatchev, et le PC ; de l'autre, un monde encore confus de républiques et de mouvements politiques où le souverain est clairement l'électeur, appelé à se prononcer sur le système et sur son cadre géographique.

La désorganisation généralisée

Cette évolution rapide de la situation de l'URSS fut accélérée par les changements survenus dans le pouvoir central. Confronté à la montée des mécontentements nationaux et sociaux (les mouvements de grève s'amplifiaient et les comités de grève semblaient répéter le modèle mis à l'honneur par Solidarnosc en Pologne), Mikhaïl Gorbatchev s'engagea dans une série de démarches destinées à renforcer le pouvoir central et le sien propre. En mars 1990, il obtint la création d'une présidence soviétique, en théorie soumise au suffrage universel, mais qu'il exclut pour un premier mandat, en raison, plaidait-il, de circonstances encore défavorables à un tel changement des procédures politiques. Élu président par le Parlement mal élu de 1989 (1/3 des députés relevaient des listes « réservées » des organisations sociales), il n'en revendiquait pas moins des pouvoirs toujours accrus, et même les pleins pouvoirs, qui lui furent refusés.