En dépit de la décentralisation, les concours et transferts que l'État reverse aux collectivités croissent chaque année à un rythme rapide pour atteindre, en 1991, 233 milliards de francs. L'État est le caissier, le contribuable, le prêteur, le fermier, le censeur, le collecteur d'impôts des villes, départements et régions à travers son propre réseau d'agents du fisc et comptables du Trésor. Les collectivités ne sont pas libres de fixer et de lever les impôts qu'elles veulent, et elles ont l'obligation de placer toutes leurs disponibilités au Trésor, avec un intérêt servi de ...0 %. Leur liberté est, en revanche, quasi totale pour faire lever des emprunts, ce qui a provoqué ici ou là des maladresses, des erreurs, voire des illégalités que la Cour – qui a enquêté auprès de 246 collectivités – se plaît à dénoncer : sont ainsi dans le collimateur, par exemple, le département des Hauts-de-Seine, celui de l'Hérault, la Région Bretagne, les villes de Luxeuil-les-Bains, Sarcelles ou Boulogne-sur-Mer. « Quand on constate toutes ces malfaçons et cette opacité, a pu dire Pierre Arpaillange, on ne peut que redouter des risques d'explosion du système. »
Le poids financier que prennent les collectivités dans l'économie continue de s'alourdir. Les prélèvements obligatoires constitués par les impôts locaux représentent dorénavant 5,9 % du produit intérieur brut (PIB), au lieu de 4,6 % en 1980. Le volume des dépenses est passé de 260 milliards de F en 1980 à 700 milliards dix ans plus tard. Les budgets primitifs votés en 1991 sont en hausse de 8 % par rapport à 1990. Comme l'an passé, cette croissance toujours forte est deux fois supérieure à celle du PIB national. Parmi les différentes catégories de collectivités, ce sont les régions qui, en 1991, progressent le plus (+ 16 %), alors que les départements (+ 8,5 %) et les communes (+ 6,7 %) sont beaucoup plus raisonnables.
Le poids des impôts locaux directs progresse aussi à un rythme toujours élevé : + 9,3 % en 1991 au lieu de 10 % l'année précédente. Là encore, les régions sont en flèche : + 13,4 %.
Mais l'objectivité exige de dire que, si les collectivités locales sont ainsi amenées à mettre les bouchées doubles, ce n'est pas seulement le résultat de la décentralisation et d'une plus grande latitude des élus pour s'impliquer dans une multitude de domaines nouveaux. C'est aussi parce que l'État se désengage de plus en plus systématiquement de secteurs qui étaient traditionnellement les siens en transférant vers les collectivités compétences, charges, responsabilités, poids des impôts... et donc impopularité.
Des indemnités mieux encadrées
Au début de l'automne, le gouvernement a adopté en Conseil des ministres un projet de loi qui poursuit deux objectifs principaux :
– ouvrir le plus largement possible l'accès des citoyens aux mandats locaux ;
– établir sur des bases transparentes les modalités d'indemnisation de ces mandats.
Sur ce dernier point, il s'agit essentiellement de moraliser les conditions de rémunération des élus qui, dans un certain nombre de cas, dépassent des sommes raisonnables. Dans d'autres cas, les indemnisations sont à ce point dérisoires que plus personne n'ose abandonner son emploi pour se mettre au service de ses concitoyens, car le bénévolat a des limites...
Ce projet de loi subira évidemment des modifications lorsqu'il passera devant les députés et les sénateurs, mais tel qu'il a été adopté par le Conseil des ministres, il retient les dispositions suivantes :
– le maire d'une commune de moins de 500 habitants (dont le traitement sera substantiellement relevé) ne pourra toutefois toucher plus de 2 364 F d'indemnités de fonction par mois, et celui d'une ville de 50 000 à 99 000 habitants plus de 12 806 F ;
– les maires de Paris, Lyon et Marseille sont plafonnés à 22 657 F ;
– des limitations comparables seront instituées pour les conseillers régionaux et généraux. Ainsi dans une région de plus de 3 millions d'habitants, les conseillers ne pourront percevoir plus de 13 650 F.
Le projet prévoit aussi un plafond pour les cumuls de mandats et d'indemnités (42 300 F par mois), une fiscalisation des indemnités de fonction, un encadrement des « voyages d'études », l'instauration d'un droit à la formation des élus et l'amélioration des régimes de retraite.
François Grosrichard
Grand reporter économique au Monde, François Grosrichard a en charge, notamment, les rubriques de l'aménagement du territoire et de la politique économique régionale.