Panorama

Une année triomphale pour la démocratie, c'est du moins ce que, avec un brin d'angélisme, on pouvait espérer de 1991. La disparition accélérée des régimes marxistes-léninistes en Europe de l'Est et en URSS allait laisser la place à des institutions représentatives que les peuples appelaient, semble-t-il, de leurs vœux. Dans le monde entier, d'ailleurs, exception faite de la Chine, de Cuba et de la Corée du Nord, les dictatures reculaient.

La réalité, comme trop souvent, a été moins brillante. L'année a commencé dans le fracas de la guerre et s'est achevée dans une crainte diffuse de l'avenir qui n'a épargné aucun des pays où l'opinion publique peut se manifester sans entrave.

La guerre du Golfe s'est terminée par un succès militaire écrasant et des fanfares triomphales. Les chefs d'État en ont tiré, en France comme aux États-Unis, un prestige qui s'est vite effrité. Le conflit a accéléré la crise économique déjà commencée et provoqué une crise psychologique qui en a largement accru les effets. Le mot seul de « guerre » a réveillé les souvenirs des uns et fait surgir les images de restriction et de repli frileux dont les autres ont été depuis cinquante ans abreuvés par les médias. L'Occident a eu les jambes coupées par le stress. Il est brusquement tombé dans la morosité.

En France, pour faire fructifier le capital de popularité que lui avait valu l'affaire du Koweït, le président de la République a tenté de muscler son gouvernement en faisant appel à Mme Édith Cresson, réputée femme de caractère. La glissade de la majorité et celle de sa cote personnelle en ont, en fait, été accélérées.

Aux États-Unis, M. George Bush est dans une situation identique, faute de pouvoir maîtriser les difficultés économiques intérieures. En Grande-Bretagne, le successeur de Mme Thatcher, M. John Major, a grand peine à maintenir hors de l'eau le parti conservateur, qui risque fort d'être écarté du pouvoir à la prochaine consultation électorale. L'Allemagne elle-même, qui doit digérer la défunte RDA, conserve difficilement son équilibre économique et financier. L'étiquette politique compte peu lorsque les situations ont tendance à se ressembler.

De l'internationalisme au nationalisme

Si les gouvernements occidentaux marquent quelque usure, à l'Est, les nouveaux pouvoirs, dans la mesure où ils sont assurés, paient lourdement le prix de la succession : ils sont rendus comptables de la catastrophe économique qui, en grande partie, a amené la chute des régimes communistes. Ils sont sous la menace d'un fondamentalisme politique et du nationalisme qui, dans une moindre mesure, n'épargne pas l'Ouest. Les nationalismes débridés, nourris d'anciennes haines et d'anciens massacres, ont entretenu l'incendie en Yougoslavie ; ils font craindre à tout instant, en cette fin d'année, des explosions parmi les restes épars de ce qui fut l'URSS, maintiennent la tension en Tchécoslovaquie et les pulsions racistes et xénophobes même dans les pays où la démocratie paraît très solidement établie.

En Chine même, où un capitalisme très particulier se cache sous le manteau d'un communisme qui se dit pur et dur, des ferments de dissociation se manifestent non seulement au Tibet, annexé naguère par la force, mais aussi dans des provinces traditionnellement encastrées dans le vieil empire.

Le Japon, qui, malgré ses intérêts dans le Golfe, n'a pris part que financièrement au conflit, prend conscience progressivement de la soumission de sa classe politique et particulièrement de ses gouvernants aux grands intérêts, et d'une concussion qui dépasse de loin les scandales français. Le modèle paternaliste qui régit ses entreprises commence à être contesté. Une crise politique et une crise de société se profilent à long terme.

En Amérique latine, l'amélioration économique se poursuit dans certains pays et un grand espoir de paix est apparu au Salvador Cependant, la situation des chefs d'État hors nonnes, comme M. Menem en Argentine et M. Color au Brésil, est de plus en plus fragile. Cuba, privée de l'aide soviétique, s'enfonce dans la régression industrielle et économique.