Journal de l'année Édition 1987 1987Éd. 1987

L'année dans le monde

Devant fêter le 4 novembre son quarantième anniversaire, l'UNESCO n'avait pas oublié de déclarer 1986 Année internationale de la paix. L'initiative de l'organisation internationale a été relayée par le pape Jean-Paul II, le 27 octobre, lors de la rencontre œcuménique d'Assise, qui était conçue comme « la préfiguration d'un monde en paix ». Aux côtés d'Amnesty International, de Médecins sans frontières ou de Médecins du monde, dont l'audience est consacrée par de multiples interventions sur les lieux de détresse, sont apparus les « nouveaux gourous », ceux que nous inventent les médias, les spectacles et le sport : le 25 mai, le chanteur Bob Geldof et Sport Aid ont mobilisé quinze millions de personnes dans 260 villes de 75 pays pour sensibiliser les foules à la lutte contre la faim en Afrique.

Bien sûr, ces bonnes volontés ne sont pas toujours récompensées par des résultats tangibles. Conscient des limites réelles de son pouvoir, le pape, à Assise, s'est contenté modestement de proposer une trêve de 24 heures. Actuellement, l'« intégrisme » musulman ne crée pas des conditions propices à une action œcuménique en faveur de la paix. Attaquée par l'un des mouvements armés du Proche-Orient, la France a connu un « septembre noir » qui lui a appris à vivre avec le terrorisme.

Les difficultés d'une action humanitaire irréprochable se sont aussi manifestées à propos de l'intervention de Bob Geldof et de Band Aid en Éthiopie, relayée et amplifiée par tous les médias et les nouveaux géants de la communication qui « font » l'événement. Bernard-Henry Lévy a estimé que les sauveteurs « ont tué des gens sans le savoir ». Silence, on tue, titre du livre d'André Glucksmann et de Thierry Wolton, a porté la même accusation. Il est reproché à Band Aid d'avoir accepté une déportation des populations vers le sud de l'Éthiopie.

Entravées ou dénaturées par des obstacles inattendus, les campagnes faisant appel à la générosité posent ainsi à leurs promoteurs les problèmes que connaissent depuis toujours les scientifiques lorsque leurs recherches entrent en application dans des conditions qu'ils n'ont pas prévues. On l'a bien vu encore, cette année même, lorsqu'une équipe d'astronautes américains a disparu dans la terrifiante explosion de Challenger, rappelant qu'après un quart de siècle la maîtrise de l'espace n'est pas encore totale, lorsque la steppe ukrainienne s'est illuminée subitement, en pleine nuit, le 25 avril, dans la fournaise nucléaire de Tchernobyl, ou encore lorsque l'on apprend qu'un soldat sur deux de l'armée zaïroise est porteur du Sida, malgré le progrès des biotechnologies (éd. 1987 et éd. 1986). Dans un autre domaine, on s'aperçoit que les prêts au tiers monde n'apportent pas de solution satisfaisante à ses problèmes.

Les échecs de la technique, comme les controverses engagées à propos de l'action humanitaire, conduiraient aisément à une vision pessimiste du monde et au refus de toute intervention. En réalité, il est possible de déceler des causes d'espoir, si l'on se réfère aux tendances, parfois peu datables, qui marquent l'évolution de nos sociétés à l'approche du xxie siècle. En France, malgré les divergences de vues entre le président et le gouvernement issu des élections du 16 mars, la cohabitation a été plutôt une réussite ; la poursuite de la régionalisation et de la décentralisation par la nouvelle majorité renforce cette impression.

La crise économique est susceptible d'introduire des effets inattendus dans l'évolution de nos sociétés : après une période de hausse des prix, la désinflation a assuré une amélioration plus sensible du niveau de vie que la croissance indexée des salaires en période d'inflation. La gestion du chômage, même, peut instaurer un renouvellement de nos habitudes sociales. « Le déclin d'une certaine forme d'emploi salarié, stable, à plein temps » peut favoriser « l'émergence d'activités nouvelles dont le statut reste à trouver ». Utopie en 1968, réalité en 1998 ? Les trente-cinq heures par semaine réclamées par certains syndicats, la multiplication du temps libre, l'horaire à la carte, autant de pistes à explorer qui peuvent nous conduire vers des genres de vie où le loisir et la culture seraient plus à notre portée.