Journal de l'année Édition 1987 1987Éd. 1987

Point de l'actualité

Le blé en crise

La situation mondiale sur le marché du blé devient de plus en plus tendue. On parle de crise malgré l'abondance des récoltes annuelles et l'accumulation des stocks dans les silos des pays grands producteurs.

La marche vers la surproduction

Dès le début des années 1980, les pays producteurs de blé se sont installés durablement dans une situation de surproduction. La production mondiale de blé n'a cessé de battre des records sans toutefois épuiser les réserves de productivité existantes. Les progrès de la production se sont manifestés principalement dans les pays d'Europe occidentale, aux États-Unis et aussi dans les pays où la Révolution verte a eu lieu, à la suite de l'introduction de nouvelles variétés à haut rendement, comme par exemple l'Inde. En Europe occidentale, c'est la France qui occupe la place prépondérante dans la production communautaire, surtout pour le blé tendre. En effet, elle assure, pour 1984, 44 p. 100 de la récolte des Dix, loin devant le Royaume-Uni (19,6 p. 100) et la République fédérale d'Allemagne (16,2 p. 100). Le poids de l'Hexagone s'est d'ailleurs renforcé depuis 1955, puisque, à cette date, la récolte française ne représentait que 37,7 p. 100 du total européen. De plus, la France a rapidement étendu ses cultures de blé dur aux côtés de la Grèce et de l'Italie. Si le blé est cultivé dans presque toutes les régions de la Communauté, il n'en demeure pas moins que l'essentiel de la production est assuré par les terres les plus riches, parmi lesquelles figurent celles du Bassin parisien.

L'augmentation de la production de blé résulte davantage de l'amélioration des rendements que de l'extension des superficies consacrées aux céréales. Cette culture intensive, pratiquée le plus souvent dans le cadre d'exploitations de taille au-dessus de la moyenne, distingue l'Europe occidentale des autres grands producteurs mondiaux où le blé est cultivé soit dans le cadre de vastes exploitations extensives (fermes du Middle West aux États-Unis, de la Prairie canadienne, de la Pampa argentine ou de l'Australie ; sovkhozes et kolkhozes en Union soviétique), soit dans le cadre d'une agriculture souvent traditionnelle (cas de la plupart des pays du tiers monde).

Cette hausse des rendements résulte de plusieurs facteurs : progression constante de l'emploi d'engrais de plus en plus performants avec fractionnement des doses d'engrais ; raffinement de la préparation du sol ; renforcement de la protection phytosanitaire à travers l'emploi de produits insecticides, fongicides et anti-cryptogamiques de plus en plus sophistiqués, mais aussi de plus en plus coûteux, qui pèsent lourdement sur le budget des exploitations agricoles ; enfin, sélection des semences et hybridation. La garantie des prix appliquée dans plusieurs pays producteurs comme la France ou l'Allemagne fédérale a également contribué à l'accroissement rapide de production de blé.

Les échanges internationaux : la pression des excédents

L'état de la surproduction presque permanente de tous les grands pays producteurs de blé a entraîné au début des années 80 une certaine anarchie sur les marchés internationaux, surtout en matière de prix. Avec les progrès continus de la génétique, les stocks des principaux vendeurs (États-Unis, Communauté économique européenne, Canada, Argentine, Australie) ne cessent de s'accumuler d'une année à l'autre. Or, la demande internationale de blé tend à s'affaiblir : certains pays asiatiques, comme l'Inde et la Chine, ont réduit leurs achats à la suite du relèvement de la production intérieure dû à la Révolution verte ; par ailleurs, un grand nombre de pays en voie de développement sont endettés et ne peuvent pas acheter facilement du blé importé. Enfin, le blé ne participe plus autant à l'alimentation animale ; il est concurrencé par des protéines moins coûteuses.

Dans ces conditions, les pays producteurs se livrent à une concurrence sans merci de telle façon que la notion de cours mondial du blé a perdu toute signification. On relève autant de prix que de contrats : ce sont les acheteurs qui font la loi sur le marché. La compétition se manifeste par une guerre des prix à coups de subventions ou de rabais. Cet écoulement plus ou moins forcé n'empêche pas une réduction du revenu des producteurs de blé, qui se préoccupent de reconversion vers d'autres activités productives ; certaines exploitations sont condamnées à disparaître, comme cela s'est produit aux États-Unis depuis 1984.

Gilbert Rullière