Panorama

Introduction

Il y aura des rivières enchantées, des toboggans géants, des châteaux hantés et des montagnes magiques. Pour y être employé, il faudra prouver que l'on peut conserver indéfiniment le sourire. Un sourire aussi radieux que celui qu'arborèrent, le 18 décembre, sous le flash des photographes, le Premier ministre socialiste Laurent Fabius et le président du Conseil régional de l'Île-de-France, le RPR Michel Giraud. Pour accueillir Mickey, Donald et Blanche-Neige à Marne-la-Vallée (25 000 emplois seront créés en 10 ans), « l'État socialiste » et la « Région gaulliste » surent ensemble parler d'une seule voix avenante. Nul esprit chagrin n'osa se plaindre que le premier grand espace de loisir français ne fût placé sous le signe des Gaulois piailleurs d'Astérix. Il est vrai que chez Walt Disney Inc. on ne badine pas avec le sourire et c'est à l'enchanteur défunt d'Hollywood que la France a dû de vivre, le mercredi 18 décembre, une journée de consensus.

Ce fut bien, dans une année politique riche en anathèmes, la seule. Deux jours plus tard, tout rentrait dans l'ordre : une grève sauvage de la RATP jetait les Parisiens dans les rues ; l'épicerie de luxe Fauchon brûlait, et, à Nantes, des prévenus tenaient en joue, sous l'œil complaisant des caméras, leurs juges. De quoi permettre à la droite de dénoncer le désordre et le laxisme de la gauche et à la gauche de se poser en défenseur des libertés. Jamais autant qu'en ces derniers jours d'année préélectorale, la France ne parut autant coupée en deux blocs irréconciliables.

Et pourtant, c'est sous d'étranges chassés-croisés que chacun, à l'approche du 16 mars 1986, entre en campagne. Ce fut d'abord, dans la nuit rose et tiède d'un congrès socialiste d'octobre (où pour la première fois depuis la fondation de la SFIO, en 1905, on oublia d'entonner l'Internationale), un chœur à plusieurs voix (Laurent, Michel, Pierre et Jean-Pierre, etc.) qui chanta les vertus de l'entreprise et du projet, annonça la nécessaire baisse des prélèvements obligatoires, admit que des dénationalisations de filiales pouvaient se révéler souhaitables, se félicita que l'une des grandes réussites de la gauche au pouvoir avait été d'introduire un climat de concurrence entre les banques françaises et admit qu'une bonne insertion des immigrés excluait tout laxisme aux frontières.

Après l'automne des socialistes, vint l'hiver des libéraux. En quelques semaines, l'opinion apprit, avec des nuances selon les orateurs, que les dénationalisations ne pourraient être qu'un très long processus, que les TUC pourraient être étendus au secteur privé, que les Français étaient attachés à leur système de protection sociale, que le SMIC était intouchable et que, hormis quelques délinquants, les immigrés avaient le droit à la reconnaissance de la Nation.

Apothéose discrète de ces inattendues rencontres entre néo-socialistes et néolibéraux : c'est presque à l'unanimité que sénateurs et députés entérinent une révolution silencieuse de la vie politique française. Nul ne pourra plus, d'ici quelques années, briguer plus de deux mandats électoraux importants, comme le prévoit, dès maintenant, la loi du 30 décembre 1985.

Et pourtant... Jamais l'idée de cohabitation harmonieuse n'a paru aussi lointaine, même chez ceux qui, il y a peu, s'en faisaient les laudateurs résignés...Paul Amar, chef du service politique d'Antenne 2, analyse le nouveau débat politique et ce que fut cette année où, sous les anathèmes des discours publics, se préparaient les premières élections à la proportionnelle que la France va connaître depuis 1956.

Après les législatives de 1986, les présidentielles de 1988. Déjà, à la fin de 1985, beaucoup de candidats probables et, un, déjà, déclaré officieusement : Charles Hernu, ancien ministre des Armées. À son actif, renforcé par l'événement même qui l'a chassé du gouvernement – le dynamitage d'un bateau écologiste dans le port d'Auckland par des agents secrets français –, un consensus : l'adhésion inconditionnelle de presque toutes les familles politiques françaises à la politique de défense nucléaire. Sous l'échec technique de la DGSE, une grande réussite politique tout aussi involontaire. Pour sa première « grande affaire d'espionnage depuis l'enlèvement de Ben Barka », la France évitait tout relent de scandale ou de trahison. Plus chanceuse en cela que bien d'autres nations...