La presse mexicaine parle encore de « dialogue de sourds » entre le président Reagan et M. de La Madrid, lorsque celui-ci a séjourné à Washington, du 15 au 17 mai. Au chef de la Maison-Blanche dénonçant « l'agression extérieure » en Amérique centrale et le « droit » des États-Unis à y résister, le président mexicain réaffirme sa conviction que les injustices économiques sont la cause principale des conflits.
Début juillet pourtant, il admet pour la première fois publiquement (notamment dans une intervention au quotidien El Excelsior) « la dimension est-ouest » des conflits régionaux, chère à l'administration Reagan. Sans renier la Déclaration franco-mexicaine de 1981 reconnaissant l'opposition armée salvadorienne et sa branche politique (FDR-FMLN), il fait un autre geste de bonne volonté à l'égard de Washington, envoyant son ministre des Affaires étrangères à San Salvador à l'occasion de la prise de fonction du président élu démocrate-chrétien, Napoléon Duarte, le 1er juin.
L'attitude de Mexico vis-à-vis des Guatémaltèques réfugiés sur son territoire dès 1980 et accusés par le régime voisin de compter de nombreux « subversifs » dans leurs rangs change également. La note de protestation mexicaine du 3 mai, à la suite d'un raid militaire guatémaltèque contre un camp de réfugiés, reste fort modérée. Tout en réaffirmant ses principes d'asile politique, Mexico souligne que son territoire ne saurait être utilisé pour « appuyer des actions violentes au Guatemala ». Le Mexique décide d'ailleurs de déplacer vers le nord au moins un tiers des 46 000 réfugiés. Ces opérations de transfert, devant s'étaler sur deux ans, provoquent quelques violents incidents dénoncés le 11 juillet par le diocèse de la région des Chipas.
Domination du PRI
En politique intérieure, le président de La Madrid s'engage à poursuivre sa campagne de « rénovation morale ». Elle est marquée par l'arrestation par le FBI en juillet, à Porto Rico, du général Arturo Durazo Moreno, ancien chef de la police de Mexico (sous le président Lopez Portillo, de 1976 à 1982). Accusé de détournement de fonds de l'État et de trafic d'armes, il attend à Los Angeles son extradition.
Il n'y a en revanche pas de « rénovation » notable du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, au pouvoir depuis 55 ans), lui aussi accusé de corruption. Les élections législatives de 1985 risquent pourtant, si elles ne sont pas frauduleuses, d'aboutir à une nouvelle victoire du Parti d'action nationale (PAN, d'extrême droite), qui enlèverait le poste de gouverneur de l'État de Sonora, dans le Nord. Aux municipales de 1983, un nombre croissant d'électeurs mécontents avaient reporté leurs voix sur le PAN. Des partisans armés du PRI, rendus furieux par leur défaite, ont attaqué en janvier 1984 leurs adversaires à Ajalpan et Xotla (nord du pays).
La violence politique fait une autre victime en 1984 : Manuel Buendia, journaliste de gauche très réputé, tué par balles le 30 mai. D'une manière générale pourtant, la violence est loin d'avoir atteint le niveau que pourrait laisser présager la situation économique et sociale.
Christian Martin
Amérique Centrale
Dialogue sous la mitraille
1984, en Amérique centrale, n'a pas été que l'année de la mitraille. Devant les dangers d'un conflit généralisé, tous les pays directement concernés multiplient les démarches diplomatiques pour trouver une solution politique à la crise.
Principaux protagonistes, les États-Unis et le Nicaragua sont les premiers à engager, et à poursuivre, des conversations bilatérales. Au plan continental, le groupe de Contadora (Colombie, Mexique, Panamá et Venezuela) est parvenu, après dix-huit mois de laborieuses négociations, à présenter un plan de paix régional qui, malgré des réserves (notamment celles de Washington), est finalement accepté par toutes les parties intéressées, y compris Cuba. Mieux : intervenant dans la traditionnelle zone d'influence américaine, l'Europe des Dix, l'Espagne et le Portugal lui ont apporté leur caution.
Mais, en définitive, c'est la rencontre du président salvadorien José Napoléon Duarte avec les chefs de la guérilla qui aura été l'événement marquant de l'année. En se rendant, le 15 octobre, dans le village de La Palma pour dialoguer avec ses adversaires, le candidat démocrate-chrétien, élu avec le soutien de Washington, a joué une formidable partie de poker.