La tension est extrême dans tout l'archipel. Le président Marcos ordonne de créer une commission d'enquête composées de cinq juges de la Cour suprême. L'un des cinq juges — considéré comme le plus indépendant — refuse de participer à cette commission. Le lendemain, le cardinal Jaime Sin, archevêque de Manille et chef de l'Église catholique philippine, décline également l'invitation d'en faire partie. Le 30 août, veille de l'enterrement de B. Aquino, l'assassin est enfin identifié comme étant un tueur à gages du nom de R. Galman. Mais les mobiles du meurtre ne sont guère élucidés. Les obsèques du 31 août prennent l'allure d'une manifestation sans précédent contre le régime du président Marcos.

B. Aquino était le principal adversaire politique du président Marcos. Né en 1932, après des études chez les pères jésuites et une expérience dans le journalisme, il a commencé sa carrière politique en devenant maire de sa ville natale, Carupciar, puis gouverneur de la province de Tarlar, et enfin sénateur en 1967. Arrêté en septembre 1972, après la proclamation de la loi martiale, il fut jugé et condamné à mort en 1977. Gracié en 1980, il quitta son pays pour les États-Unis. Après trois ans d'exil, son retour devait marquer sa rentrée politique, en vue des élections législatives de printemps 1984, et d'une éventuelle succession au président Marcos.

Une succession difficile

Le président Marcos, âgé de soixante-six ans, à la santé chancelante, arrivera-t-il au terme de son mandat de six ans en 1987 ? Le président a peut-être envisagé sa succession en créant un comité exécutif de dix membres. Dirigé par César Virata, Premier ministre et ministre des Finances, ce comité rassemble trois tendances : celle des technocrates, celle des partisans de Juan Ponce Enrile, ministre de la Défense, et celle de Mme Imelda Marcos, l'épouse du président. Cependant, en cas de vacance du pouvoir, comment les Philippines pourraient-elles être dirigées par dix personnes à la fois ? Le 21 février, le président Marcos résout le problème en annonçant que son successeur serait C. Virata, et non son épouse.

À côté de ces tendances, une quatrième force pourrait faire irruption dans l'arène politique, celle des militaires. Les forces armées, dirigées par le général Fabian Verse, ont pris une importance considérable dans le pays, notamment durant toutes les années de loi martiale (1972-1981).

Face à face, l'Église et l'armée

Après l'assassinat de B. Aquino, les chances de rétablissement d'une vie politique plus démocratique s'amenuisent. L'opposition interne ou exilée aux États-Unis s'organise et redouble ses attaques contre le régime.

La tension entre le clergé et l'armée ne cesse de croître à propos de l'adhésion de certains prêtres à la NAP, Nouvelle armée populaire (procommuniste). L'un des prêtres rebelles, le père E. Kangleon, reconnaît, en janvier, avoir été recruté par un autre prêtre pour le compte de la NAP. Bien que limités à un cas particulier, ces aveux avivent les soupçons du gouvernement concernant une « collusion » entre l'Église et le parti communiste. F. Marcos affirme alors que l'Église se prépare à une « confrontation sanglante ». Le cardinal Jaime Sin réplique en évoquant le devoir du prêtre d'aider son prochain et le droit de chacun à l'autodéfense.

À la suite de nombreuses arrestations de prêtres, 92 des 102 évêques philippins se réunissent. Ils publient, en mars, une lettre pastorale condamnant toute forme de violence et critiquant la politique du régime. Ils demandent que la procédure légale soit respectée pour les personnes arrêtées, que la définition légale de la subversion soit modifiée. Ils critiquent la militarisation croissante du pays, en particulier dans les campagnes, où face à la progression de la NAP, l'armée dispose de pouvoirs considérables. Pour contenir la guérilla, les populations sont regroupées dans des hameaux stratégiques, tandis que les effectifs de l'armée ne cessent d'augmenter : 60 000 en 1975, 300 000 à l'heure actuelle.

Marasme économique

L'instabilité politique, la progression de la guérilla communiste s'accompagnent d'un marasme économique. « L'année 1983 sera sans doute pour l'économie l'une des plus sombres que l'on puisse imaginer » prédisaient les économistes du Centre de recherches et de communication, organisme privé des milieux d'affaires. Le déficit budgétaire — 1,5 milliard de dollars — atteint 4 % du PNB, la dette extérieure dépasse 16 milliards de dollars.