Après avoir enfreint en 1982 deux tabous de la politique économique belge en dévaluant le franc de 8,5 % — la première dévaluation depuis plus de 30 ans ! — et en modifiant l'indexation salariale, le gouvernement peut aujourd'hui s'enorgueillir de succès certains.

Ainsi, le taux d'inflation a pu être réduit de 1 %, de sorte qu'en 1984 la Belgique pourrait rejoindre les pays à faible inflation. Le franc se stabilise.

Les entreprises belges retrouvant leur compétitivité d'avant 1973, on n'exclut plus une croissance des exportations de 2,5 % en 1983, et rien ne montre mieux l'effort accompli que la régression impressionnante du déficit commercial qui, d'un creux de 107 milliards de FB au premier trimestre 1982, est passé à 17 milliards pour les trois derniers mois de 1982.

Mais même les plus optimistes n'osent encore parler de reprise économique. Jusqu'ici, Martens V n'aura tenu son pari qu'à moitié. Même l'OCDE, pourtant globalement élogieuse, marque ses réserves : la demande intérieure se ressent de la politique déflationniste du gouvernement. Suite à l'augmentation de la pression fiscale et parafiscale sur les ménages, le revenu réel des particuliers a baissé en 1982 de 3,5 % en moyenne, et les ménages privilégient l'épargne au détriment de la consommation. Cette diminution de la consommation privée (– 2,5 %) s'accompagne d'une croissance négative du PNB (– 0,7 % contre une augmentation européenne de + 0,2 %).

Syndicats et PS montent en épingle un taux de chômage de près de 15 % en 1983 (13,1 % en 1982), soit plus de 500 000 chômeurs déclarés — conséquence du recul des investissements (– 20 % en volume depuis la mi-82).

Le gouffre de la sidérurgie wallonne

Depuis quelque temps, les partis flamands exigent la régionalisation des cinq secteurs économiques considérés encore comme nationaux (sidérurgie, construction navale, charbonnages, industries du textile et du verre) et refusent de donner « un sou de plus » pour la sidérurgie wallonne déficitaire, dont l'entière responsabilité financière devrait être assumée par la seule région wallonne.

La société sidérurgique wallonne Cockerill-Sambre, dont la restructuration met en relief l'imbrication des problèmes socio-économiques et communautaires, connaît depuis quelque temps déjà de très sérieuses difficultés financières (JA 1er juillet-31 décembre 1982). Lorsqu'en mai 1983 Jean Gandois — ancien PDG de Rhône-Poulenc nommé consultant de Cockerill-Sambre — présente son plan industriel pour l'entreprise en difficulté, les conclusions de son rapport se révèlent explosives : le sauvetage de Cockerill-Sambre coûtera 95 milliards de FB au lieu des 50 milliards prévus !

Le temps presse. Placé devant les conclusions du rapport Gandois, aiguillonné par les Flamands qui exigent que la Wallonie assume les charges financières de Cockerill-Sambre, mais redoutant également qu'une faillite de l'entreprise ne coûte aussi cher que son redressement, le gouvernement ne peut plus s'esquiver. Il trouve fin juillet un compromis s'inspirant largement des conclusions du rapport Gandois.

Alors que l'État central allouera 51 milliards pour la remise à flot de l'entreprise, 27 milliards seront à réunir par la seule région wallonne, par le biais d'un emprunt. Pour faire face aux charges de cet emprunt, un mode de financement traduisant la volonté de régionalisation flamande prévoit que l'État ristournera pendant 8 ans les droits de succession à la Wallonie et à la Flandre. Les soldes des droits de succession alimenteront deux fonds créés pour financer, côté wallon, la restructuration de Cockerill-Sambre, et, à titre de réciprocité, côté flamand, la construction navale et les charbonnages de Campine.

Du côté wallon, on ne manque pas de souligner le coût institutionnel, budgétaire et social de cet accord. C'est « la plus grande catastrophe économique pour la Wallonie depuis la fin de la guerre », estime le président de l'exécutif wallon, le socialiste Jean-Maurice Dehousse.