Le schéma classique était celui des migrations et des invasions. Il semble qu'on doive l'abandonner. Tout au plus peut-on admettre le passage de quelques cavaliers, de quelques négociants porteurs du matériau nouveau, ou plutôt de la nouvelle technologie. Par contre, il faut envisager un basculement assez rapide de la civilisation et des centres de pouvoir. C'est ce que l'on a découvert pour l'Aquitaine.

Au ixe siècle avant notre ère, le sud-ouest de la France est encore en plein âge eu bronze. C'est le temps des fameux dépôts de fondeurs, dont certains nous livrent des centaines d'objets ou fragments de bronze destinés à la refonte. Le dépôt de Vénat, en Charente, dont l'inventaire a été publié en 1981, comportait ainsi plus de 2 700 pièces. Réuni sans doute au long de plusieurs générations, il appartenait au vaste ensemble culturel du bronze atlantique, encore florissant. Mais 30 % des objets étaient importés, venant de l'Europe septentrionale, centrale ou méditerranéenne ; c'était une époque d'échanges à longue distance.

Deux siècles plus tard, la pratique des dépôts est abandonnée. De nouvelles cultures se sont mises en place : ainsi en Aquitaine, où une civilisation qu'on vient seulement de découvrir est née avec l'usage du fer.

Embrassant la plus grande partie du matériel recueilli lors des fouilles tant anciennes que modernes dans cette région, Jean-Pierre Mohen a entrepris une analyse rigoureuse de la céramique et des objets de métal. Utilisant un dosage délicat de bon sens et d'analyse factorielle, il a redéfini les caractères de ces objets en les considérant aussi en fonction du fabricant et de l'utilisateur, et non plus en fonction de l'archéologue seulement. Cela l'a conduit à établir de nouvelles catégories, puis à dessiner des liaisons entre les diverses parties de l'Aquitaine, selon le nombre de caractères communs aux unes et aux autres. Il a mis ainsi en évidence un réseau de liaisons très denses, couvrant toute la région qui va du Pays basque et du bassin d'Arcachon jusqu'à l'ouest de l'Ariège. Les liaisons apparaissent moins denses avec les pays situés au nord et à l'est de la Garonne ; elles deviennent ténues avec les régions plus éloignées. On peut donc bien parler de découverte : une civilisation que l'on ne connaissait pas naît au regard — simplement après le réexamen patient, l'étude exhaustive et rigoureuse d'un matériel parfois connu depuis plus d'un siècle.

Cette culture s'est formée assez vite. Les couches du bronze sont très pauvres ou inexistantes dans les sites concernés : pour cette période, les grands foyers se trouvent ailleurs, en Charente par exemple. Or, en un siècle ou deux, le fer devient abondant et les sépultures s'enrichissent ; on le voit sur les plateaux de Ger et de Lannemezan. C'est vers le ve siècle avant notre ère que paraît avoir été atteint le maximum de prospérité.

Que s'est-il passé ? Une fois que l'on connaît les techniques du fer, plus délicates que celles du bronze, des gisements nombreux deviennent utilisables, en particulier dans les Pyrénées et le Massif central. Ils permettent en outre d'obtenir des objets plus résistants... Double avantage, qui enlève une bonne partie de son intérêt à la recherche lointaine des deux métaux (cuivre et étain) nécessaires à l'élaboration du bronze. En peu de temps, un siècle ou deux selon J.-P. Mohen, de vastes réseaux commerciaux s'anémient alors ou disparaissent. Montent en puissance des groupes auparavant pauvres, des marginaux ; ceux qui possèdent du fer.

Un tel processus pourrait d'ailleurs expliquer l'épanouissement rapide, justement vers la même époque, de nombreuses autres civilisations : Scythes, Thraces, Illyriens, Ligures, Ibères et aussi les Étrusques, ces gens que l'on a tellement voulu faire venir d'ailleurs !

Mais le changement n'est peut-être pas seulement venu du fer. Les sites montrent que d'autres facteurs ont dû jouer : l'élevage, qui paraît connaître alors un grand développement, ainsi que la production du sel, étroitement liée à l'élevage. Autre élément, peut-être décisif : le cheval. Les objets de harnachement deviennent nombreux dans les sépultures.