Monnaie
Le franc contesté
Avec ou sans changement de président de la République, le franc aurait fini par craquer. Aussi étrange que cela paraisse, le franc était, en effet, surévalué au sein du système monétaire européen, par rapport au mark allemand notamment.
La persistance d'une hausse des prix en France de l'ordre du double de celle que connaît l'Allemagne fédérale a d'abord grignoté l'avantage de parité de l'ordre de 2 % dont nous avions bénéficié au moment de la mise en place du nouveau système monétaire européen en mars 1979.
Puis, la compétitivité des produits français s'est régulièrement dégradée. Dès le début de l'année 1980, le deutsche Mark apparaît sous-évalué si l'on se réfère uniquement à la théorie de la parité de pouvoir d'achat. La situation est alors totalement différente de ce qu'elle était de 1976 à 1979.
Pourtant, en dépit des récriminations des chefs d'entreprise exposés à une concurrence de plus en plus difficile, c'est le Mark qui baisse et non le franc. Pour trois raisons :
– Taux d'intérêt. Les taux d'intérêt à long terme atteignent 15 % en France contre 8,5 % en Allemagne fédérale. Certes, comparé aux taux d'inflation, le rendement réel reste encore plus élevé en RFA qu'en France, mais, alors que la France bénéficie de l'aura d'un Premier ministre qui a fondé toute sa politique sur la défense de la monnaie, le Mark subit le contre-coup de sa politique budgétaire et de la remontée du dollar.
– Mark. Excédentaire de 9 milliards de dollars en 1978, la balance des paiements allemande est déficitaire de 16 milliards de dollars en 1980, et le déficit se creuse au début de 1981.
La raison en est principalement une évasion de capitaux due à l'augmentation régulière du déficit budgétaire, à l'usure du pouvoir de la social-démocratie, aux modifications de structures industrielles et commerciales, aux sorties touristiques et aux bruits de bottes en Pologne.
Pour toutes ces raisons, les étrangers estiment qu'il n'y a plus rien à gagner sur le Mark et désertent la rive droite du Rhin pour se diriger vers le dollar et, pour partie, vers le franc.
• Dollar. L'évolution des taux d'intérêt aux États-Unis et sur le marché international des capitaux et l'effet Reagan ont provoqué une aspiration de capitaux vers les États-Unis. Celle-ci s'est sensiblement accentuée en 1981.
Dans un premier temps, ce phénomène a joué essentiellement au détriment du Mark allemand, confortant ainsi l'image du franc français sur les marchés des changes.
Sortie de capitaux
Mais les choses ont changé au début de l'année 1981, lorsqu'il est apparu que, quels que soient les résultats des prochaines élections, la rigueur barriste pesait si lourd sur l'économie que son inévitable départ et un certain infléchissement de la politique économique et sociale provoqueraient une baisse du franc.
De la fin novembre à la fin mai, le dollar, soutenu par la nouvelle envolée des taux d'intérêt américains, a gagné 25 % vis-à-vis du Mark et 29 % vis-à-vis du franc. Le résultat inattendu par la communauté financière de l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République a ensuite accéléré les choses. De février au 10 mai, la France a perdu environ 5 milliards de dollars et autant entre le 10 et la fin du mois. Les sorties de capitaux (du Moyen-Orient notamment) ont ensuite été freinées par la hausse des taux d'intérêt à court et à long terme, par le renforcement du contrôle des changes et par l'aide de l'Allemagne fédérale, le chancelier Schmidt ayant négocié le maintien du franc dans le SME avec le président Mitterrand.
Ottawa
Entré en vigueur le 14 mars 1979, le SME a ainsi fourni la preuve de son efficacité. Pour autant, les Européens n'ont pas jugé bon de passer à la deuxième phase de son évolution, prévoyant notamment le renforcement des moyens de financement de la Communauté et la mise en place d'une monnaie commune. Tout dépend dans ce domaine des suites qui seront données aux négociations monétaires internationales abordées dans le cadre du sommet des chefs d'État des dix pays les plus riches du monde, à Ottawa, en juillet 1981.
En tout état de cause, avant de passer à une nouvelle étape, la nécessité d'un réajustement des parités entre le franc et le Mark devait s'imposer, bien que la hausse du dollar ait entraîné, dans le jeu général des monnaies, une amélioration de la compétitivité des produits français de 12 % au cours des cinq premiers mois de l'année.