Architecture
Le goût du public pousse les excentricités à s'assagir
Mille jours pour l'architecture, année du patrimoine. Le millésime 80 est très demandé. Les campagnes et leur cortège de brochures, badges, slogans et affiches publicitaires ont la faveur des responsables et préparent aimablement le terrain électoral.
Lancés en mai 1979 sans programme précis, les mille jours ont télescopé en fin d'année le « patrimoine », où l'on a rangé, derrière la bannière de notre mémoire collective, les monuments et la cuisine, la musique, la peinture et la littérature. En vrac. Après la femme et l'enfant, les richesses nationales valaient bien une année. Ce cocorico autosatisfait ne rassure pas les défenseurs attentifs du patrimoine qui montent la garde auprès des 30 000 édifices officiellement protégés : ils voient s'envoler en papiers et en pellicules des crédits d'entretien et de travaux qui s'essoufflaient déjà derrière l'inflation. Mais l'opinion, alertée — ou assommée ? —, viendra peut-être, le jour venu, appuyer leurs revendications.
La piétaille des monuments pâtit en outre de la priorité donnée aux plus prestigieux. Bien qu'un ministre de la Culture ait dit un jour qu'il valait mieux « sauver mille monuments pour mille ans » (Jacques Duhamel), le précieux troupeau des manoirs, églises de campagne, hôtels particuliers, châteaux et forteresses est à la traîne quand il faut mettre le paquet sur Versailles, le Louvre, Chambord ou les cathédrales incendiées (Nantes) ou fissurées (Rodez).
Labyrinthe
Les mille jours, c'est autre chose. On nous entretient là d'architecture contemporaine, moderne comme on dit. Campagne destinée au grand public pour donner envie d'architecture, réconcilier le goût du plus grand nombre et les canons culturels de quelques spécialistes, donner à voir une architecture de qualité qui ne heurte pas les harmonies établies. Les exemples retenus dans la plaquette de vulgarisation sont bien souvent pris à l'étranger. Le choix est éclectique et ne privilégie aucune tendance : des meilleurs crus du purisme international aux fantaisies postmodernes de quelques Américains, la sélection vise à montrer que les voies de l'architecture sont multiples, mais que ce labyrinthe a une clef.
Conférences, expositions, émissions de télévision et livres soutiennent la campagne mille jours et parfois on colle après coup l'étiquette de circonstance sur de vieilles opérations. Peu importe. L'ensemble fait bonne figure et accompagne un mouvement relativement spontané de l'édition française, qui s'intéresse soudain au livre d'architecture : on réédite Viollet-le-Duc, dont on fête avec un an de retard le centenaire, et d'autres classiques ; on fouille le patrimoine du xixe siècle (les grands magasins, le patrimoine industriel, les passages couverts) et on traduit les histoires de l'architecture ou les théories de l'urbanisme.
Pédagogie
Un Grand Prix de la critique architecturale est d'ailleurs décerné pour la première fois. Malheureusement, le jury semble avoir oublié le grand public, cible officielle, en couronnant Françoise Choay, universitaire connue et méritante, pour un livre d'érudite sur l'œuvre des premiers théoriciens de l'urbanisme, la Règle et le modèle. Les auteurs d'un film de télévision sur Berlin partagent cet honneur, qui récompense des travaux de qualité mais qui ne fera pas avancer d'un iota l'éducation culturelle des masses, que chacun déclare urgente.
Côté pédagogie, un grand projet gouvernemental, présidentiel même, est en panne. L'Institut français d'architecture, dont la création avait été annoncée, le 20 octobre 1977, par Valéry Giscard d'Estaing dans son grand discours sur l'architecture à l'Unesco (Journal de l'année 1977-78), a du mal à voir le jour. Le nouvel organisme devra coordonner la recherche architecturale, compléter la formation de quelques jeunes architectes talentueux, offrir des rudiments à tous ceux qui, dans l'administration ou les collectivités locales, ont à choisir l'architecture, développer l'information pour tous les publics.