Le 30 avril, le pape nomme pro-secrétaire d'État Mgr Agostino Casaroli (qui deviendra automatiquement secrétaire d'État dès qu'il sera fait cardinal). La nomination de ce prélat de 65 ans, qui depuis 1963 sillonne inlassablement les pays de l'Est en vue d'y chercher un modus vivendi entre l'Église et les États communistes, est interprétée comme l'indice d'une volonté de continuité. Elle est d'autant plus remarquée que l'action diplomatique de Mgr Casaroli avait été parfois contestée par les évêques polonais, et surtout le premier d'entre eux, Mgr Stefan Wyszynski. On note aussi qu'elle correspond à un souci d'équilibre : à pape non italien, secrétaire d'État italien.
S'il succède ainsi au cardinal Villot, Mgr Casaroli n'en assumera pas toutes les fonctions. En effet, le même jour, Mgr Giuseppe Caprio, jusque-là substitut à la secrétairerie d'État, est nommé pro-président (en attendant l'accession au cardinalat) de l'administration du patrimoine du Saint-Siège. Ce ministère des Finances était auparavant confié au secrétaire d'État. Il y a donc un certain éclatement des tâches de celui-ci. De même, le cardinal Paolo Bertoli, ancien nonce à Paris, est nommé camerlingue, fonction également tenue par Mgr Villot. Toutes ces nominations, et quelques autres qui les complètent, sont bien accueillies.
Enfin, à la fin de mai, à la veille de son voyage en Pologne, Jean-Paul II annonce qu'il créera les 15 premiers cardinaux de son pontificat lors d'un consistoire prévu pour le 30 juin. Quatorze noms sont publiés, celui du quinzième étant réservé par le pape in petto (dans son cœur) suivant une très ancienne tradition — certains pensent, sans pouvoir évidemment l'affirmer, qu'il s'agit d'un évêque lituanien, donc citoyen soviétique, Mgr Steponavicius, 68 ans, empêché d'exercer ses fonctions depuis 1962. Parmi les autres, on compte six Italiens (dont Mgr Casaroli et Mgr Caprio), deux Polonais, un Irlandais, un Français (Mgr Roger Etchegaray, archevêque de Marseille), deux Asiatiques, un Canadien et un Mexicain.
Voyage en Pologne
La grande affaire de ce printemps est évidemment le voyage en Pologne. Le pape en avait formé le projet dès le soir de son élection. Mais de longues négociations avec le gouvernement polonais avaient été nécessaires avant que soit trouvé un accord sur la date et les modalités. Finalement Jean-Paul II commence son voyage par Varsovie le 2 juin et le termine symboliquement par Cracovie — la ville dont il était archevêque — le 10. Entre-temps, il se sera rendu notamment à Auschwitz.
Le retentissement de ce périple est énorme dans les pays occidentaux. En revanche, la presse des pays socialistes mentionne à peine son existence. C'est que ce premier voyage d'un pape en pays communiste pose de sérieux problèmes au bloc soviétique. Au gouvernement polonais d'abord, qui craint chaque jour d'être débordé par les mouvements de foule — sur ce point il sera rassuré : si les catholiques polonais démontrent de façon impressionnante leur force, ils manifestent aussi leur discipline. Jean-Paul II, lui, revendique les droits de l'Église, mais s'abstient de tenir des propos qui puissent mettre le gouvernement dans l'embarras. À Moscou, on craint aussi un déferlement de nationalisme polonais. La fierté nationale se donnera effectivement libre cours, mais pas de manière trop agressive à l'égard de l'URSS. Et le pape, s'il fait allusion un jour à la passivité des troupes soviétiques lors de l'écrasement par les Allemands de l'insurrection de Varsovie en 1944, rend un autre jour, à Auschwitz, hommage au peuple russe pour sa lutte contre l'Allemagne hitlérienne.
Cependant, ses propos sur les droits de l'homme et les droits des nations, sans cesse réaffirmés, ne peuvent qu'irriter les dirigeants de Moscou. Il faut souligner par ailleurs l'insistance avec laquelle il se présente comme « le pape slave », laissant entendre que le christianisme slave, épuré par l'épreuve, pourrait avoir pour mission de régénérer partout les valeurs spirituelles. Un thème qui est cher à certains dissidents soviétiques.