Pour y voir clair lui-même sur la nature et le montant de ces charges indues, estimées entre 13 et 20 milliards de F par les organisations syndicales, le gouvernement a nommé une commission, présidée par le conseiller d'État Roger Grégoire, dont le rapport a été rendu public le 1er février 1976.
Il reconnaît effectivement l'existence de charges qui devraient être imputées à l'État plutôt qu'à la Sécurité sociale : il s'agit des dépenses d'enseignement médical (270 millions de F en 1976) et des prestations servies par le régime général des salariés au titre du minimum vieillesse, passé à 22 F par jour au 1er janvier (6 015 millions de F en 1976, contre 5 205 en 1975).
Par ailleurs, depuis la loi dite « de compensation » du 24 décembre 1974, le régime général de la Sécurité sociale supporte le déficit, dû à des raisons démographiques (diminution du nombre des actifs cotisants), des régimes spéciaux de salariés, comme ceux des mineurs ou des cheminots, et celui des régimes autonomes de non-salariés (agriculteurs, commerçants, artisans, etc.).
Le montant approximatif de cette charge, selon le rapport Grégoire, était de 4 330 millions de F en 1975 et devrait atteindre près de 7 millions en 1976. Une dotation budgétaire de l'État en garantit le financement, mais la commission Grégoire n'en évalue pas moins à 2 milliards et demi l'insuffisance des cotisations versées par quatre groupes professionnels rattachés au régime général : les fonctionnaires, les agents des collectivités locales, les mineurs et surtout les exploitants agricoles.
Enfin, il faut compter le poids des charges liées à la généralisation de la Sécurité sociale (dont le processus sera achevé en 1978) et qui touche, par étapes, 800 000 personnes : des chômeurs, des détenus, des jeunes à la recherche d'un premier emploi qui bénéficient aujourd'hui des prestations sociales, mais sans verser les cotisations correspondantes.
Bouche-trou
Telles sont les trois raisons majeures du déficit de la Sécurité sociale. Neuf milliards en 1976, prévoyaient les experts : le souci prioritaire du gouvernement était donc de stopper l'hémorragie. D'où le plan Durafour, du nom du ministre du Travail, du 9 décembre 1975, qui comprend trois types de mesures :
– une augmentation du taux des cotisations versées par les assurés sociaux et leurs employeurs, portant partiellement sur la totalité du salaire (au-delà du plafond porté le 1er janvier 1976 à 3 160 F) ; ce déplafonnement a fait scandale chez les cadres, qui se sont mis en grève et ont manifesté le 18 décembre à Paris. Cette augmentation, considérée comme le classique bouche-trou, devrait quand même rapporter cette année 7 milliards de F ;
– une baisse autoritaire du taux de la TVA sur les produits pharmaceutiques, ramenée de 20 à 7 % à partir du 1er juillet 1976 : soit un rendement de 700 millions de F ;
– des économies escomptées à 1 milliard de F, réalisées en concertation avec les professions médicales et pharmaceutiques. Mais la baisse, décidée le 7 février par le ministre de l'Économie. Jean-Pierre Fourcade, du prix de 250 articles pharmaceutiques et la violente réaction qu'elle a suscitée dans l'industrie pharmaceutique augurent mal de cette concertation.
Ce train de mesures ne vise cependant qu'à écarter le péril, pour la Sécurité sociale, de la cessation de paiements. Les assurés sociaux ne sont pas complètement rassurés : des réformes de longue haleine s'imposent. Recevant André Bergeron, secrétaire général de Force ouvrière, le 23 décembre 1975, le président de la République lui-même estime nécessaire un large débat national sur l'avenir de la Sécurité sociale et la réduction des inégalités par les transferts sociaux.
Budgétisation
Pour cet avenir, il faut sans doute déjà exclure la budgétisation de la Sécurité sociale, c'est-à-dire la prise en charge par le budget de l'État des déficits sociaux, comme cela se passe en Allemagne et en Angleterre. Les experts du VIIe Plan ont écarté cette hypothèse. Pour eux, fiscaliser, môme partiellement, la Sécurité sociale reviendrait à augmenter le poids des impôts, et des catégories comme les cadres se sentiraient une fois de plus pénalisées.