Journal de l'année Édition 1976 1976Éd. 1976

Dans la mouvance de l'Académie encore, un François-Régis Bastide, dont on aimera La fantaisie du voyage, fugue autobiographique vagabonde et musicale, ou Michel Droit, dont La mort du connétable achève une longue série romanesque sur le destin de sa génération. Enfin, parmi les écrivains qui avancent régulièrement dans la carrière des honneurs et du succès, on peut retenir encore Paul Guimard, Max Gallo et Georges-Emmanuel Clancier.

Paul Guimard se rattache au club de l'Interallié, au groupe des romanciers-journalistes qui font preuve d'une étroite solidarité. Mais ce Mauvais temps est un petit roman de l'homme intérieur, comme on dit la Bretagne intérieure, c'est le roman de la mélancolie et de la difficulté de vieillir. Paul Guimard fait dialoguer au long de son texte deux projections du même homme, Bob, celui qu'il était à vingt ans, et Monsieur Robert, celui qu'il est aujourd'hui. Le garçon triomphe devant la vulgarité, l'esprit terre à terre et sou à sou de l'homme fait, mais la vie n'est-elle pas inévitablement cette vallée où se forment les âmes comme disait Keats, ce passage où l'homme doit se faire pour survivre ? L'écrivain pèse une fois encore les choses de la vie ; en évitant les regrets inutiles comme les reproches superflus ou les récriminations intempestives, il gagne par la précision et la pudeur.

Max Gallo a publie coup sur coup deux volumes d'une trilogie, La baie des anges et La place des fêtes, histoire de la ville de Nice depuis la fin du siècle dernier à travers l'histoire d'une famille d'émigrés italiens, les frères Revelli. C'est bâti à chaux et à sable, écrit sans vaine recherche mais efficacement, versé dans le gaufrier romanesque de Balzac, de Zola et de Jules Romains, intéressant comme un documentaire historique et émouvant comme un mélodrame. Ici encore il faut noter le grand succès de la série parce qu'il est mérité et parce qu'il est caractéristique d'une certaine faim des lecteurs d'aujourd'hui.

Enfin La halte dans l'été de Georges-Emmanuel Clancier est un très bon roman de nature, de campagne, de réflexion sur les forces dont l'équilibre constitue la vie, génération après génération, et on le mettra à côté du roman de Maurice Genevoix.

Hors saison

Le palmarès si faible de la fin de 1975 est d'autant plus déconcertant qu'il existait des livres dignes d'attention. Ainsi L'indésirable de Régis Debray, récit d'action révolutionnaire et de guérilla dans un pays d'Amérique du Sud. L'auteur avait beaucoup fait parler de lui il y a quelques années (Journal de l'année 1967-68 et 1969-70) pour une action de ce genre, et l'aspect d'autobiographie transposée n'est donc pas niable, mais son don d'évocation des paysages, des circonstances et des nommes ne l'est pas non plus. Il écrit comme on peut l'attendre dans ce cas, c'est-à-dire sans recherche d'écrivain professionnel, avec des bavures, et aussi avec des bonheurs. Et ce qu'il dit constitue une réflexion sérieuse sur les rapports de l'Européen avec le continent américain du Sud, sur les possibilités d'une action révolutionnaire à la fois concrète et idéaliste au sein de luttes constamment récupérées par le communisme politique. Peut-être avons-nous ici pour l'Amérique du Sud l'équivalent des premiers témoignages de Malraux sur l'action révolutionnaire en Chine.

Dans un genre moins brûlant, on pouvait s'intéresser aussi à Villa triste de Patrick Modiano (prix des Libraires), valse mélancolique et langoureux vertige de quelques personnages fixés par l'auteur dans un passé déjà un peu lointain (treize ans), si bien que leurs passions et leurs vices semblent ne se dégager que progressivement de leurs mensonges, comme des corps qui se dégageraient du sable ou de la boue... Enfin, parmi les jeunes écrivains qui, livre après livre, élaborent une œuvre cohérente, il faut faire attention à Didier Decoin, dont Le policeman est un conte de Noël presque chestertonien, une enquête à la recherche moins d'un coupable que du mal lui-même. Il y a chez cet auteur une puissance de création romanesque qui doit s'imposer un jour.

Période

Les mérites ainsi reconnus dans le meilleur des mondes littéraires, il n'est pas question de pousser de grands cris de victoire ou de colère. Les collèges et les clubs existent, avec leurs viviers où, par le système de la cooptation, ils trouveront sûrement pendant longtemps de quoi assurer leur pérennité. Mais ce mécanisme même risque de jouer en faveur de la médiocrité dorée, s'il n'y a pas un grand élan ou une grande résistance. Or, si l'Académie est traditionnellement brocardée, si le système des prix est contesté, c'est d'une manière extrêmement faible. On conteste l'action des grands promoteurs de l'édition, le système économique de la répartition des dignités et des prix, mais, même quand cette contestation se manifeste par la violence et par des attentats, elle semble le fait de jeunes écrivains qui réclament une part des profits et se résignent à faire parler d'eux dans la colonne des faits divers, faute d'avoir pu trouver une place dans la littérature.