Journal de l'année Édition 1976 1976Éd. 1976

Il n'y a pas de contestation de fond, de doctrine, comme il pouvait y en avoir une par exemple au temps du surréalisme. Tel premier roman qui se réclame d'idées nouvelles sur le texte littéraire, comme Passages de Renaud Camus, d'ailleurs plein de talent, se rapproche en fait de l'autobiographie et du journal intime. Tel prix qui se piquait d'une certaine originalité dans ses choix, comme le prix Médicis, est allé cette année au Voyage à Naucratis de Jacques Almira, qui relève de l'avant-garde à la James Joyce d'il y a quarante ans. Un collège qui joue un rôle dans le monde littéraire en général plus que dans le domaine du roman, l'Université, a réussi à imposer une certaine autorité, et même un certain terrorisme critique, mais non à favoriser la naissance d'une littérature d'imagination vivante et naturelle au-delà des exercices scolaires.

La littérature d'imagination française est dans une période et non dans une époque, pour reprendre la vieille distinction de Péguy. Les tentatives de renouvellement par la technique de narration d'il y a quelques années ont tourné court, parce que leur contenu ne pouvait que s'exténuer de plus en plus ou devenir de plus en plus indifférent à la communication avec le lecteur. Les tentatives de renouvellement par l'inspiration sociale et politique n'ont guère mieux abouti, parce qu'elles se montraient vraiment trop indifférentes à la qualité littéraire. Trop de littérature ou pas assez.

La faiblesse vient sans doute de plus loin : de l'absence d'une image du monde, d'une conception du monde globale et non totalitaire (comme le marxisme l'est, en fait, aujourd'hui). Les syncrétismes forcés n'engendrent que des monstres qui ne peuvent pas survivre. Les conceptions rétrospectives, les retours vers Rousseau par exemple, meurent d'étouffement parce qu'elles ne peuvent digérer trop de données concrètes et inévitables de notre siècle.

Notre littérature vit davantage sur les fragments de l'image brisée du monde ancien que sur les pressentiments d'une image future, même notre littérature d'anticipation. Le roman continue à être un miroir promené le long d'une grande route : mais par des hommes de plus en plus persuadés que cette route ne mène nulle part. Si nous allons vers une période de grands troubles et de grandes crises, elle sera sans doute funeste à la littérature sur le coup, le gouvernement collégial de la république des lettres que nous avons décrit disparaîtra pour un temps. Puis on fera des vœux pour qu'il se reforme, avec des idées nouvelles.

Bande dessinée

Multiforme, contestataire ou classique la « BD » s'est glissée partout

Chaque année en France, 200 à 250 millions d'exemplaires de bandes dessinées sont proposées au public. Plusieurs dizaines de titres hebdomadaires, mensuels, trimestriels s'écoulent sur un marché que vient encore submerger la vente par albums exposés en rayons entiers dans le moindre libre-service.

Tout se diffuse en bandes dessinées : le bridge, la vie de Lénine, la lutte contre la drogue, l'équitation, la cuisine, les échecs, l'évangile, l'histoire de la Corse, le marxisme, etc.

Publicité

Séduites, les agences de publicité exploitent au maximum ce nouveau support pour vendre une ville nouvelle, des automobiles ou des produits alimentaires... Astérix, Lucky Luke et Mickey incitent à l'achat, même la simple bulle, le moindre ballon font partie du langage publicitaire. Des affiches de la rue ou du métro, les taches colorées éclatent, les idéogrammes explosent, les onomatopées jaillissent, qui impliquent une nouvelle perception des formes et des couleurs.

De son côté, le langage politique a assimilé les mythes des enfants : « Il ne faut pas donner à M. Poniatowski une importance qu'il n'a pas. On aurait tort de le prendre pour Tarzan », s'exclame Alexandre Sanguinetti à Montpellier le 30 novembre 1974. Sur le même ton, le ministre d'État répond cinq mois plus tard au député UDR : « On a dit qu'il ne fallait pas que je me prenne pour Tarzan, on a dit que je n'étais pas Zorro. Je souhaiterais, en fait, être Tintin. »