Il semble que le téléspectateur européen ait atteint le niveau de la saturation. Des sondages comparables, réalisés en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Pays-Bas, aboutissent à des conclusions semblables. En Allemagne, alors que l'audience moyenne était, vers 1970, voisine de 80 %, elle ne dépasse plus guère 65 % pour les émissions dramatiques, 61 % pour les films, 60 % pour les journaux télévisés, 44 % pour les émissions politiques. En Italie, où le quart d'heure le plus suivi se situe entre 21 h 30 et 21 h 45, 19,9 millions de téléspectateurs se trouvaient à l'écoute ; on n'en compte plus que 16,3 millions en juillet 1973.

En France, deux chiffres donnent une indication générale : 85,7 % d'audience en 1970, et 83,5 % en 1972.

C'est dans cette atmosphère lourde qu'intervient le limogeage d'Arthur Conte. Il est en fonction depuis seize mois (Journal de l'année 1972-73) ; en conflit avec Philippe Malaud, qui assume à l'époque les responsabilités de ministre de l'Information, Arthur Conte porte l'affaire devant l'opinion publique. La réaction n'est pas longue à venir : le 23 octobre 1973, il est mis fin à ses fonctions alors qu'il avait été nommé pour trois ans.

Marceau Long lui succède ; il préside, comme P-DG, sa première réunion du conseil d'administration le 30 octobre 1973. Dès la nomination du nouveau P-DG, les syndicats et le comité d'entreprise manifestent leur inquiétude devant le projet de décentralisation de l'Office et de création d'établissements publics. On comptera plus de 170 préavis de grève au cours de la saison. Les arrêts de travail toucheront tant la programmation (les Français vivront deux week-ends consécutifs sans télévision, et les recettes des cinémas augmenteront de 30 %) que la production pendant de longues semaines.

Un nouveau P-DG

Marceau Long, nouveau P-DG de l'ORTF, n'est pas, comme son prédécesseur Arthur Conte, un homme politique. Sa carrière est celle d'un grand commis de l'État. Fils du directeur du personnel technique de la Société des Eaux de Marseille, il est né à Aix-en-Provence le 22 avril 1926. Licencié ès lettres, major de sa promotion de l'ENA, cet homme simple aux goûts modestes, marié et père de cinq enfants, fut successivement maître des requêtes du Conseil d'État, attaché de cabinet du ministre des Affaires étrangères, directeur général de l'Administration de la fonction publique pendant six ans, puis président de la commission chargée d'étudier le problème du logement des militaires au sein du Conseil supérieur de la fonction militaire.

Réforme

Malgré ces mouvements, Marceau Long s'attache à remplir la tâche que lui a confiée le gouvernement ; il prépare un projet de décentralisation.

Établi en liaison avec un groupe de travail interne à l'Office, et après de nombreuses consultations, le projet bénéficie d'un avis favorable de la délégation parlementaire consultative et du Haut Conseil de l'audiovisuel ; il est adopté par le conseil d'administration le 12 février 1974 et approuvé, quelques jours plus tard, en conseil des ministres. Le comité d'entreprise est d'un avis contraire, et toutes les organisations syndicales de l'Office s'insurgent contre cette décentralisation.

Autour de l'ORTF, établissement central qui conserve son unité et obtient les attributions justifiant l'existence du service public et du monopole, sont créés six établissements publics chargés de la production et de la réalisation des émissions. La radio emploiera 1 000 personnes, TV 1 500, TV 2 400, TV 3 2 300, réparties en onze stations régionales. L'établissement de production de télévision (3 200 personnes) produira toutes les grandes émissions grâce à une décentralisation par genre (dramatiques, feuilletons, variétés...). L'établissement d'action extérieure (900 personnes) sera responsable de la création française pour l'étranger. Chaque établissement disposera d'un conseil d'administration comprenant des représentants du personnel, de l'État et de l'Office. Le directeur de chaque établissement sera nommé par le P-DG de l'Office.