Seul Têtes rondes et têtes pointues méritait l'attention des connaisseurs, d'autant que Bernard Sobel est le dernier représentant véritable de l'orthodoxie brechtienne. Mais cette farce triste, écrite en 1934 pour dénoncer Hitler et ses alliés capitalistes, reste un document singulier plutôt qu'une grande œuvre.
Nouveaux
L'invention se sera surtout réfugiée, une fois encore, dans les petites salles et chez les metteurs en scène les plus jeunes. Ainsi Henri Ronse, révélé au Festival du Marais grâce à son exhumation hiératique de la Cléopâtre captive de Jodelle, a poursuivi toute la saison ses recherches un rien morbides qui explorent l'Au-delà post-symboliste d'Ibsen ou de Kafka (L'île des morts, Le gardien de tombeau). André Engel, complice de Vincent, a monté une comédie de Grabbe à la façon d'une bande dessinée ou d'un film expressionniste très sophistiqué ; l'effet était fort spectaculaire, même si Don Juan et Faust en sortaient allègrement défigurés. On se rappellera aussi la Lulu de Wedekind, telle que Michel Hermon s'est efforcé de la faire revivre, et surtout le Victor de Vitrac, magistralement éclairé par la mise en scène de Jean Bouchaud.
Parallèlement à ce retour aux sources précieuses du XXe siècle, qui est aussi une fuite devant les problèmes du présent, il est apparu tout de même quelques auteurs nouveaux. D'abord deux Américains, révélés par Michel Fagadau : John Guare, dont Le pape à New York avait un charme tchékhovien, une fantaisie, un ton – et de beaux rôles pour Magali Noël, Nelly Borgeaud et Jean-Pierre Marielle, héros de l'histoire – ; et Israel Horowitz, avec Le premier, parabole ironique et surprenante sur l'absurdité de l'existence qui rappelle assez le Ionesco et le Beckett des débuts, avec un humour très froid. Il faudra retenir également la création de Home, de l'Anglais David Storey, qui illustre avec une adresse très consciente les théories de l'antipsychiatrie, et trouve en Michel Lonsdale et le jeune Gérard Depardieu des interprètes idéaux dirigés par le plus intelligent de nos hommes de théâtre : Claude Régy.
Chez les Français, on a découvert en Victor Lanoux un philosophe narquois, mal-pensant, que l'acteur, chez lui, ne laissait pas soupçonner. Son Tourniquet, encore proche du cabaret, nous a ouvert des perspectives curieuses au comique immédiat. Un nom à retenir.
Celui de Jean-Pierre Bisson nous était déjà connu : Le matin rouge, en 1968, éclatait de dons instinctifs. Avec Sarcelles-sur-Mer, sorte de West Side Story de banlieue, très authentique dans son romantisme de violence et d'humour grinçant, ce jeune auteur s'affirme. Il peut être l'un de ceux qui compteront demain. Jean-Michel Ribes aussi. Cette année, l'amuseur des Fraises musclées a prouvé (Par-delà les marronniers) qu'il pouvait traiter des sujets plus graves et plus poétiques sans rien perdre de sa fraîcheur.
Roland Dubillard, enfin, dans une pièce très imparfaite au titre emprunté à Rimbaud, Où boivent les vaches, nous a soudain rappelé qu'il existait, et qu'il savait être, par moments, le plus brillant des modernes. Les moments trop rares d'un talent dispersé.
Parmi cet écheveau de directions – auquel il faudrait ajouter le nouvel intérêt que l'on porte au théâtre pour enfants –, peu ou point de carrefour notable qui permettrait de s'y retrouver ; aucune réussite de première grandeur.
Ailleurs
Cette saison, les seules soirées un peu magiques nous sont venues d'ailleurs. Ce fut d'abord l'admirable démonstration de Peter Brook, lorsqu'il a présenté – en anglais – Le songe d'une nuit d'été, avec la Royal Shakespeare Company. Il a su utiliser harmonieusement psychanalyse et onirisme pour transfigurer cette comédie dans un univers proche du nôtre et merveilleux à la fois.
L'autre émotion, certains – peu de monde, hélas ! – la devront à Kayotta Shiraishi, seule découverte du IXe Festival de Nancy. Cette comédienne extraordinaire interprétait des morceaux choisis de kabuki, avec une rigueur, une puissance aussitôt perceptibles par n'importe quel public.