Monnaie
La crise risque de devenir économique
Deux dévaluations du dollar en un peu plus d'un an ; une augmentation du prix de l'or de 100 % en un peu moins d'un an : ces deux faits suffisent à montrer que le monde a continué de vivre, en 1972-73, sur un volcan monétaire.
Pourtant, les rapports entre les monnaies fixés en décembre 1971, à Washington, au moment de la première dévaluation du dollar, avaient paru susceptibles de tenir un certain temps. Certes, la livre sterling avait connu au milieu de l'année 1972 une secousse. Mais tout le monde savait depuis longtemps qu'après l'entrée de la Grande Bretagne dans le Marché commun, en 1973, la livre sterling devrait un jour ou l'autre être dévaluée. En la laissant flotter depuis mai 1972, E. Heath voulait éviter de fixer trop tôt une nouvelle parité, qu'il aurait été difficile de tenir.
Dévaluation
Sur ces bases, les pays européens essayèrent de relancer leur projet de l'Union monétaire à l'occasion du sommet qui se tint à Paris le 19 octobre 1972. Rien n'annonçait donc que le dollar allait être dévalué une deuxième fois le 13 février 1973.
À la différence de la dévaluation de décembre 1971, qui avait été précédée de laborieuses négociations entre tous les pays intéressés, le changement de parité de février 1973 apparaît comme une mesure unilatérale du gouvernement américain. On a même pu dire que celui-ci avait délibérément provoqué la crise en laissant filtrer ses intentions à la fin du mois de janvier et au début du mois de février. Des firmes multinationales, dûment informées, auraient « pris des précautions » à cette époque, en transférant leurs réserves de monnaies dans des pays comme l'Allemagne et le Japon, provoquant ainsi une nouvelle fièvre de spéculation. L'ancien secrétaire au Trésor américain, John Connally, devait d'ailleurs déclarer, au lendemain de la décision de février 1973, que le gouvernement américain était pratiquement acquis à une nouvelle opération chirurgicale dès la première dévaluation du dollar : « Nous savions dès ce moment, dit-il, que nous n'étions pas parvenus à dévaluer autant qu'il aurait fallu et que les autres monnaies n'avaient pas été réévaluées autant que cela aurait été nécessaire. »
En réalité, après avoir réglé le problème vietnamien, le président Nixon s'est décidé à aborder de front le problème de ses rapports commerciaux avec le reste du monde et, singulièrement, avec l'Europe et le Japon. « 1973 sera l'année de l'Europe », déclare Richard Nixon le 15 février. Son objectif : rétablir l'équilibre des échanges extérieurs des États-Unis, notamment en augmentant les ventes de produits américains dans le monde et en freinant les achats de produits étrangers aux États-Unis. Pour cela, il ne se fait aucune illusion sur les possibilités d'obtenir des concessions unilatérales de la part de l'Europe et du Japon. Pour la première fois, en 1971, les échanges de marchandises entre les États-Unis et le reste du monde avaient été déficitaires. En 1972, ce déficit avait triplé, pour atteindre 6,4 milliards de dollars. Mais ce déséquilibre s'explique essentiellement par le déficit des États-Unis à l'égard de trois pays seulement : le Japon (déficit de 4 milliards de dollars), le Canada (déficit de 2,4 milliards en 1972) et l'Allemagne (déficit de 1,4 milliard en 1972).
En dévaluant à nouveau le dollar de 10 % en février 1973, les Américains espèrent donc freiner l'invasion de leur marché par les voitures, les transistors et les appareils photographiques japonais, ainsi que par les voitures et les machines allemandes. Les relations avec le Canada sont plus complexes dans la mesure où ce sont des firmes américaines installées au Canada qui exportent dans leur pays d'origine, ce qui fausse quelque peu les calculs. En l'espace d'un peu plus d'un an, les prix des marchandises allemandes, japonaises ou suisses, exprimés en dollars, ont augmenté de 25 à 50 %. Ce qui freine sérieusement leurs ventes sur le marché américain.
Une des conséquences de ces décisions est de faire refluer vers l'Europe les marchandises japonaises qui ne peuvent plus s'écouler aux États-Unis. Déjà, en 1972, les exportations japonaises sur le Vieux Continent se sont accrues de 30 %. En février 1973, l'augmentation de ces exportations, par rapport à février 1972, a même atteint 60 % ! Il est évident que cette situation inquiète l'Europe, dont les ventes sur le marché japonais sont loin de progresser au même rythme. Du coup, les Américains dissocient le front de leurs adversaires. Le président Nixon a donc marqué un autre point sur les Européens et les Japonais en contraignant la plupart des monnaies à renoncer à la parité fixe avec le dollar. Cela signifie tout simplement qu'il n'est même plus nécessaire de dévaluer officiellement la monnaie américaine. Cette dévaluation peut se réaliser tout naturellement sur le marché des changes, où les monnaies ont un cours flottant et non plus un taux de change fixe. On a d'abord vu flotter la livre sterling et la lire italienne, monnaies faibles en instance de dévaluation. Dans le même temps, le yen japonais et le franc suisse se mettaient à flotter aussi, mais en se revalorisant.