Mais la décision historique est intervenue le 11 mars 1973, lorsque l'Allemagne, le Benelux, le Danemark et la France ont décidé d'arrimer leurs monnaies toutes ensemble pour flotter par rapport au dollar. Cette décision a été prise à l'instigation de l'Allemagne, qui espérait (espoir qui devait se révéler vain, trois mois plus tard) enfin sortir des réévaluations successives du mark ; ces réévaluations avaient élevé considérablement les prix des marchandises allemandes sur les marchés extérieurs, y compris ceux de la Communauté européenne. Le gouvernement de Bonn ne voulait plus entendre parler d'une réévaluation du mark par rapport au franc, car les marchandises françaises bénéficiaient, de ce fait, d'un avantage commercial très important.
Comme il voulait, dans le même temps, résister à l'afflux de dollars qui venaient se placer en Allemagne dans l'espoir d'une réévaluation, la solution toute naturelle consistait à garder une parité fixe vis-à-vis des monnaies européennes, tout en flottant vis-à-vis du dollar. De cette manière, en effet, toute réévaluation du cours du mark par rapport au dollar cessait d'avoir des inconvénients pour exporter en Europe puisque cela ne changeait rien aux cours de change entre le mark et les autres monnaies européennes.
La France n'était pas très favorable à cette thèse, car le flottement du franc par rapport au dollar peut gêner les ventes françaises aux États-Unis et favoriser au contraire les ventes américaines en France. Mais il fallait en sortir. C'est pourquoi, le 11 mars 1973, un accord a pu être conclu entre les monnaies européennes fortes pour conserver des parités fixes entre elles et flotter toutes ensemble vis-à-vis du dollar. La livre sterling et la lire italienne restent en dehors de l'accord, ces deux monnaies étant en état de flottement généralisé (vers le bas) à l'égard de toutes les monnaies, y compris celles des autres pays du Marché commun.
Seulement, dès le mois de juin 1973, cet ingénieux système devait connaître une première crise. La spéculation se portait à nouveau sur le mark, et le gouvernement allemand devait réévaluer en catastrophe (pour la quatrième fois !) de 5,50 % afin de sauver le flottement collectif des monnaies européennes. Cette réévaluation permettait de maintenir des parités fixes entre le mark et les autres monnaies européennes.
On peut donc dire, au terme de toutes ces péripéties, qu'il ne reste pratiquement rien du système monétaire institué à la fin de la guerre par les accords de Bretton Woods. Ce système reposait essentiellement sur deux bases : un dollar indiscuté, librement convertible en or, et des parités fixes entre toutes les monnaies. Or, le dollar n'est plus convertible, ni en or ni en toute autre monnaie, d'une part ; la plupart des monnaies ont un taux de change flottant, soit partiellement, soit en totalité, d'autre part. Le monde n'a plus d'organisation monétaire stable et cohérente.
Énergie
Pour les Américains, la situation créée par toutes ces secousses est relativement favorable. Le dollar est flottant par rapport à toutes les grandes monnaies, ce qui permet d'abaisser le prix des marchandises américaines vendues à l'étranger et de revaloriser en permanence le prix des marchandises étrangères vendues aux États-Unis. Tel est bien l'objectif de R. Nixon, qui veut rétablir l'équilibre de ses échanges de marchandises avec le reste du monde.
Toutefois, il n'est pas absolument sûr qu'il y parvienne rapidement. Les Américains achètent à l'étranger, en effet, des matières premières et des produits énergétiques, notamment du pétrole, dont ils ont absolument besoin quel que soit le prix de ces produits. Les dévaluations successives du dollar ne font qu'augmenter les prix, sans réduire les quantités importées. De plus en plus les États-Unis doivent se procurer du pétrole à l'extérieur, et les pays producteurs ont compris que le rapport des forces leur était devenu favorable. Ils ont pris conscience qu'ils possédaient un véritable pactole et qu'ils devaient en tirer le maximum au cours des vingt-cinq prochaines années, avant que l'énergie nucléaire ne vienne prendre le relais du pétrole comme source d'énergie dominante. Quant aux exportations américaines dans le reste du monde, elles sont constituées principalement de produits agricoles et de produits de haute technologie comme les avions, les ordinateurs, etc. Or, là encore, les ventes dépendent beaucoup moins du niveau des prix (abaissé par les dévaluations successives) que d'un certain nombre de facteurs qui n'ont pas de rapport avec la valeur du dollar : déficit dans les récoltes de certains pays qui doivent s'approvisionner en blé aux États-Unis (cas de l'Union soviétique en 1972 et 1973), ou bien concurrence des pays européens qui veulent préserver coûte que coûte des industries de haute technologie (exemple : le Concorde franco-britannique en matière aéronautique).
Or
La hausse du prix de l'or a été le reflet de ces incertitudes sur l'avenir du système monétaire. Lorsqu'on n'a plus confiance dans les monnaies, on se réfugie dans le métal jaune. En 1970, le cours de l'or était encore de 35 dollars pour une once de métal. Il est passé à 45 dollars à la fin de 1971, puis, dans le courant de 1972, il est monté jusqu'à 70 dollars et, en 1973, il a dépassé 120 dollars. L'explication de cette fantastique ascension est très simple : plus personne ne vend son or et tout le monde veut en acheter. En effet, les plus gros détenteurs de métal sont les banques centrales, qui n'ont aucun intérêt à se défaire de leurs stocks puisque le cours officiel de l'or reste fixé à 42 dollars pour une once. D'autre part, les princes orientaux qui font fortune avec le pétrole ne savent plus en quelle monnaie conserver leur argent, et tout naturellement ils achètent de l'or. De même les Américains, auxquels il était interdit de posséder de l'or aux États-Unis, ne se privent pas d'en acheter sur le marché suisse car, après deux dévaluations, ils ont pris conscience que le dollar ne valait pas l'or.