La facilité avec laquelle le général Assad a pu maîtriser ses adversaires s'explique par divers facteurs. En premier lieu, la majeure partie de l'armée échappait à l'influence de l'aile gauchiste du parti. Par réalisme et par esprit de corps, elle n'était pas favorable à la guerre populaire prônée contre Israël. Une bonne partie de la population supportait mal le régime policier et l'austérité économique instaurés par les partisans du général Jedid ; leur intransigeance en politique étrangère avait isolé la Syrie, coupée même de la plupart des pays arabes.
Ouverture
Le général Assad agit avec célérité. Le 18 novembre, il désigne une nouvelle direction au parti dont il est membre. Le jour même, Ahmed El Khatib est nommé, provisoirement, à la tête de l'État. Le 21, il constitue un nouveau gouvernement, donnant une plus large représentation aux communistes et aux nassériens ; l'une des principales caractéristiques du nouveau régime est sa volonté d'ouverture vers les autres formations de gauche, avec lesquelles le général Assad souhaite créer un front progressiste. Le nouvel homme fort de la Syrie parait même vouloir réduire l'omnipotence de son propre parti. Il fait amender la constitution provisoire, instaurant l'élection au suffrage universel du président de la République (auparavant il était désigné par les instances supérieures du Baas). La place occupée par le parti demeure malgré tout prépondérante. Le Conseil du peuple (assemblée législative), nommé le 16 février, est constitué de 173 personnes, dont 87 baasistes, 11 représentants de l'Union socialiste (mouvement nassérien dirigé par Jamal Atassi), 8 communistes, 7 progressistes indépendants et les représentants de divers groupuscules.
Le général Assad est élu, le 12 mars, président de la République pour sept ans, avec 92,2 % des suffrages exprimés (1 919 609 voix). Le nouveau gouvernement, présenté le 3 avril par le général Abdel Rahman Khlefawi, influent dans l'armée, est pour moitié constitué de baasistes ; les postes clés demeurent aux mains des militaires.
Dans le domaine économique, le nouveau régime ne renonce pas aux options fondamentales du précédent, mais il réajuste le tir. Il poursuit l'édification, avec le concours soviétique, du barrage géant de Tabka, sur l'Euphrate, qui en 1975 doublera la superficie irriguée (il fournira l'eau à 640 000 ha de terres agricoles). Déjà la construction de petits barrages a permis l'irrigation d'une dizaine de milliers d'hectares en 1970. Le troisième plan quinquennal (1971-1975) est mis en chantier ; il doit développer l'infrastructure du pays (construction de routes, de chemins de fer, de ports, d'aérodromes, d'oléoducs, etc.) et tripler la production du pétrole (qui passerait à 15 millions de tonnes par an).
Sans remettre en cause le secteur public, le nouveau régime s'attache à rassurer la bourgeoisie en libéralisant le système économique, en élargissant la marge de manoeuvre de l'entreprise privée. Le 19 janvier 1971, un décret accorde l'immunité à tous ceux qui souhaiteraient rapatrier leurs capitaux. Diverses autres mesures sont prises : la liberté d'importation de matières premières pour le secteur privé ainsi que de divers produits de consommation courante est rétablie ; les prix des produits alimentaires de base sont réduits de 25 % ; les allocations familiales sont relevées de 15 % ; l'entrée des étrangers est facilitée, suscitant l'essor du tourisme. Le gouvernement affronte des problèmes financiers qui sont aggravés par un budget militaire particulièrement lourd : les crédits consacrés à l'armée absorbent plus de 50 % (certains avancent le chiffre de 70 %) des revenus de l'État.
Alignement
L'URSS, qui fournit l'armement et accorde de larges facilités de paiement, consolide ses positions en Syrie. Moscou manifeste sa satisfaction devant l'accession au pouvoir du général Assad dès le 18 novembre. Le nouvel homme fort de la Syrie, contrairement à ses prédécesseurs, ne nourrit aucune sympathie pour la Chine ; il est mieux disposé que ses adversaires à l'égard du parti communiste syrien ; et, surtout, il est disposé à coordonner sa politique avec l'Égypte nassérienne et le Soudan du général Nemeiry, lesquels ont accepté le principe d'une solution pacifique du conflit palestinien. Certes, le rejet de la résolution 242 du Conseil de sécurité demeure doctrine officielle à Damas. Mais le général Assad assouplit sa position et en février 1971, lors d'une visite officielle à Moscou, autorise l'agence Tass à expliquer que la Syrie ne s'opposera pas à l'application de la résolution 242, afin de « liquider au plus tôt les séquelles de l'agression israélienne ».