Il y a, toutefois, un point sombre : les prix ont augmenté d'un peu plus de 5 % par rapport à 1969. On se console en disant qu'il en est toujours ainsi après une dévaluation et en observant que la hausse des prix est plus forte aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Japon, à peine moins forte en Italie et en Allemagne, tous pays qui n'ont pas dévalué. Par prudence, le gouvernement présente, cependant, un budget équilibré pour 1971. Ce qui ne l'empêche pas d'abaisser, pour la troisième fois, le taux d'escompte, qui revient à 6,5 % en janvier.
Les prix galopent
À partir de là, l'économie française prend un tournant. On va craindre de moins en moins le chômage et de plus en plus l'inflation. Au premier semestre 71, le coût de la vie augmente aussi vite qu'au premier semestre 70 (un peu plus de 3 %), mais nous n'avons plus l'excuse de la dévaluation. Certes, les prix galopent toujours à nos frontières et cela nous rassure. Mais pourquoi donc cet emballement ? Les Français ne se ruent nullement dans les magasins. Il est vrai que la crise pétrolière du début 71 entraîne un renchérissement des prix de l'énergie qui encourage l'inflation.
En réalité, les prix ne sont pas tirés en avant par une demande excessive. Ils sont poussés par des coûts de plus en plus élevés. Tout le monde parle d'une inflation salariale. De fait, les salaires horaires ont changé de rythme depuis 1968. Avant cette date, ils augmentaient chaque année de 5 à 6 % ; depuis, ils augmentent de 10 à 11 % par an. Deux fois plus vite. Comme il n'y a pas de miracle en économie, avec une productivité (c'est-à-dire une production par heure de travail) qui augmente de 5 à 6 % par an, on ne peut pas accroître les revenus de 11 % sans hausse des prix ; celle-ci rétablit l'équilibre en amputant le pouvoir d'achat en conséquence.
Toutefois, si l'on tient compte de la durée du travail et de l'évolution des effectifs, on constate que tous les revenus ont changé de rythme, pas seulement les salaires. Les chiffres publiés par l'INSEE sur l'évolution des revenus par tête montrent que ceux des entrepreneurs individuels augmentent plus vite que ceux des salariés, depuis dix ans, exception faite de 1968. Ceux des paysans augmentent aussi vite que ceux des salariés, sur l'ensemble de la période : plus vite avant 1968 ; moins vite depuis.
L'inflation est donc beaucoup plus une inflation de coûts qu'une inflation de consommation. On est même surpris que les Français n'achètent pas davantage, compte tenu de la croissance rapide de leurs revenus. Malgré la hausse des prix qui dévalorise la monnaie, on assiste, au contraire, à un développement considérable de l'épargne.
Sur 1 000 F de revenus disponibles, les particuliers épargnaient 117 F en 1966 ; ils en épargnent 130 en 1970. Les livrets de caisse d'épargne, les comptes chèques postaux, les comptes en banque sont bien remplis. Et, malgré une Bourse maussade, les Français achètent même, sans se faire prier, toutes les nouvelles obligations et les nouvelles actions qui se présentent : 18,4 milliards de francs de titres nouveaux en 1970, contre 14,6 en 1969 et une dizaine de milliards chacune des années précédentes.
Épargne inattendue
Pourquoi cette épargne inattendue en pleine inflation ? Parce que les taux d'intérêt ont beaucoup augmenté (on trouve aisément du 8 %, ce qui, malgré une hausse des prix de 5 à 6 %, laisse encore un gain) ? Parce que les Français ont peur de l'avenir et veulent garder « une poire pour la soif » ? Parce qu'ils reconstituent leurs encaisses après la ponction de 1968 et qu'ils veulent acheter, plus tard, une maison, du mobilier, une résidence secondaire ou s'offrir un voyage autour du monde ? Il y a probablement du vrai dans chacune de ces explications. Mais personne ne peut savoir si ces retrouvailles entre les Français et l'épargne seront durables ou non. Que, d'un seul coup, la méfiance à l'égard de la monnaie réapparaisse, et c'est un Niagara d'inflation qui se déverse sur l'économie française.
Au printemps 71, le gouvernement décide de s'attaquer à l'inflation salariale. Chez Renault, puis à la SNCF, il encourage la résistance aux revendications syndicales, malgré des grèves de longue durée. Pour convaincre les patrons d'en faire autant, il resserre légèrement le crédit, au mois de mal, en relevant le taux d'escompte à 6,75 %. C'est à partir de là que certains parlent, à nouveau, de plan de stabilisation. Mais celui-ci comporte des risques : la production ne s'emballe pas, bien que le chômage n'augmente plus. On escompte que les résultats de l'année 1971 seront voisins de ceux de 1970, mais peut-être pas suffisants pour faire le Plan. Celui-ci serait sérieusement compromis par un nouveau programme d'austérité.