Cette fois, les négociations vont s'ouvrir et aucun gouvernement n'oppose d'obstacles de principe à l'adhésion de la Grande-Bretagne. La France a fait savoir que, si les Anglais acceptaient le traité de Rome et ses prolongements, notamment la politique agricole commune, elle ne s'opposerait pas à leur entrée. Les Six ont déjà décidé, entre eux, que cette nouvelle négociation ne se ferait pas selon les mêmes modalités qu'en 1961-62. À l'époque, c'était les gouvernements qui négociaient. Cette fois, ce sera la Communauté, en tant que telle, représentée par le président du Conseil des ministres et par la commission de Bruxelles. En précipitant les élections en Grande-Bretagne, qui ont eu lieu le 18 juin 1969, Wilson a avancé l'heure de la véritable négociation, sans savoir qu'il n'y participerait pas personnellement, après une rencontre symbolique à Luxembourg, le 30 juin. On admet généralement que la négociation sera longue : un ou deux ans ; après quoi il faudra la ratification des Parlements nationaux, si bien que l'entrée effective de la Grande-Bretagne dans une Communauté élargie n'est guère probable avant le début de 1974. On ne peut d'ailleurs pas considérer que la négociation aboutira à coup sûr, car les problèmes à résoudre sont considérables et la marge de manœuvre des continentaux comme celle des Anglais ne sont pas très larges. Il est d'ailleurs significatif de considérer les comportements de l'opinion publique à cet égard. Dans un sondage publié au printemps de 1970, on a observé que l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun était acceptée par 64 % des habitants des pays de la Communauté, mais qu'elle était refusée par 63 % des Anglais. Ceux-ci craignent, notamment, les répercussions sur le coût de la vie de la politique agricole européenne, et le gouvernement de Londres est obligé, sur ce point, de tenir compte de son opinion publique.
L'Europe politique
Aux difficultés relatives à la négociation elle-même s'ajoutent les inconnues sur la direction qu'empruntera la Communauté européenne ainsi élargie. Est-il possible, par exemple, de faire vivre une communauté de dix pays différents si l'on ne renonce pas à la règle de l'unanimité, à laquelle la France a accordé une telle importance au cours des dernières années ? Est-ce que le Marché commun ainsi élargi ne va pas devenir purement et simplement une vaste zone de libre-échange, dénaturant la Communauté, qui renoncerait pratiquement à devenir une union politique et économique ? Quelles pourront être les relations entre une telle Communauté et le reste du monde, notamment les relations avec les USA, qui veilleront de très près à ne pas subir de préjudices commerciaux du fait de l'élargissement du Marché commun ? Autant de questions aujourd'hui sans réponse et qui seront déterminantes pour l'avenir de la politique européenne.
Apparemment, les opinions publiques sont plus disposées que les gouvernements à accepter les mutations politiques que supposerait la création d'une véritable unité européenne. Dans le sondage précité, on demandait notamment si l'idée de voter, en cas d'élection d'un président des États-Unis d'Europe au suffrage universel, pour un candidat qui ne serait pas de la nationalité des électeurs était acceptée. Dans tous les pays de la Communauté, à l'exception de l'Italie, plus de 50 % des personnes ont répondu affirmativement à cette question. En France, 61 %. En tous les cas, on peut effectivement se demander si, au point où elle en est arrivée, la construction européenne peut se développer sans prendre appui sur le suffrage populaire. Jusqu'à présent, elle a été essentiellement l'œuvre des gouvernements. Peut-être a-t-elle besoin d'un nouveau support pour aller plus loin, surtout si elle s'est alourdie de nouveaux membres.