Conjoncture économique
La bataille du franc
3 juillet 1968 ; le choc en retour de la révolution manquée de mai-juin vient de déferler sur la France et d'amener au Parlement la plus formidable majorité que le Palais-Bourbon ait connue : 360 députés gaullistes sur 487 ; Maurice Couve de Murville est toujours ministre des Finances, mais il sait déjà que le général de Gaulle va l'appeler à Matignon. Il décide de relever le taux d'escompte de la Banque de France de 3,5 à 5 %. Simple mesure conservatoire.
13 juin 1969 ; le choc en retour du « non » au référendum va porter Georges Pompidou à l'Élysée le surlendemain. Le Conseil général de la Banque de France se réunit exceptionnellement un vendredi et décide d'élever le taux d'escompte de 6 % (taux atteint en novembre 1968) à 7 %. Nouvelle mesure conservatoire.
Ainsi, en moins d'un an, le prix de l'argent a doublé. Dans le même temps, les réserves en or et en devises de la Banque de France ont diminué de près de moitié : elles sont passées de 30 milliards de francs début mai 1968, à 17 milliards en juin 1969. Ceci explique cela. Pour enrayer une hémorragie persistante de devises, signe tangible de la faiblesse du franc, les autorités monétaires renchérissent le coût du crédit, selon les règles de la thérapeutique financière traditionnelle.
Pendant douze mois, le front monétaire n'a pas cessé d'être harcelé et une question a constamment préoccupé les experts : le franc sera-t-il, ou non, dévalué ?
L'après-Grenelle
Dès le lendemain des élections du 30 juin 1968, le problème est posé. Plusieurs ministres sont favorables à une dévaluation immédiate pour éponger les hausses de salaires consenties à Grenelle et pour enrayer la fuite des capitaux que le contrôle des changes, institué le 31 mai, ne parvient pas à freiner. D'autant que personne ne songe à refuser l'échéance du 1er juillet 1968, date à laquelle les derniers droits de douane disparaissent entre les pays du Marché commun.
La majorité du gouvernement tranche dans l'autre sens : pas de dévaluation. M. Couve de Murville s'en explique. Il ne veut pas prendre le risque d'une nouvelle crise sociale, les salariés pouvant interpréter une dévaluation comme une manière de reprendre par la hausse des prix les gains obtenus à Grenelle sur les salaires. En outre, la France dispose encore, à cette époque, d'abondantes réserves d'or et de devises, qui lui permettent de voir venir. Enfin, depuis la crise internationale du mois de mars sur l'or, il apparaît que le système monétaire devra être réformé ; à cette occasion, on pourra peut-être aménager les parités des monnaies entre elles et, s'il le faut, procéder ainsi à une discrète dévaluation.
À vrai dire, la grande préoccupation des Français, début juillet, est moins le franc que le chômage. On s'attend à ce que de nombreuses entreprises ne supportent pas les hausses de salaires et soient contraintes de fermer leurs portes. Certains parlent d'un million de chômeurs pour la fin de l'année. C'est ce que le gouvernement veut éviter à tout prix. Ayant renoncé à la dévaluation, il renonce aussi à une politique d'austérité trop sévère.
Le gouvernement opte pour la fuite en avant. Le raisonnement est simple : puisque les coûts de production ont augmenté du fait des hausses de salaires, il faut les amortir sur la plus grande quantité possible de produits, afin que, pour chacun d'entre eux, le prix final ne s'en trouve pas trop affecté. Du coup, on gagne sur les deux tableaux celui de l'emploi, puisque la croissance de la production fait disparaître le chômage ; celui de la monnaie, puisque les hausses de salaires ne se traduisent pas par des hausses comparables de prix.
Les mesures de relance
Les mesures prises en juillet par le gouvernement expriment concrètement cette politique. M. Couve de Murville, devenu Premier ministre, se donne dix-huit mois pour réussir. Il prend pour ministre des Finances un haut fonctionnaire, inspecteur des finances, devenu ministre : François-Xavier Ortoli. Celui-ci se considérera pendant un an comme l'exécutant fidèle des orientations prises par le Premier ministre. Certains le lui reprocheront en disant qu'il agissait plus en chef de cabinet qu'en ministre à part entière...