On a dit très longtemps, en France, que la droite était le parti de l'ordre et la gauche celui du mouvement. À l'heure des révisions parfois déchirantes où le pays est parvenu en 1969, on peut se demander où se situent le goût de l'ordre et la volonté de mouvement. On a vu pendant onze ans, en proportion décroissante il est vrai, des électeurs communistes apporter leur « oui » à de Gaulle et leurs suffrages aux députés qui se réclamaient du général. On a vu des socialistes voter tantôt à gauche pour un candidat commun à leur parti et au PC ou même pour des candidats communistes, tantôt au centre et même à droite pour des démocrates-chrétiens, des libéraux, des conservateurs plus ou moins éclairés et qui ne cherchaient pas à dissimuler leur tendance. On a vu le centre se diviser en trois camps, entre la gauche, le gaullisme et l'abstention. On a vu la droite et l'extrême droite osciller entre la majorité et l'opposition, où parfois elles donnaient une part de leurs suffrages aux « moscoutaires » pour ne pas renforcer ceux qui dénonçaient pourtant « le complot communiste ». Quant au gaullisme, inclassable parmi les « familles » traditionnelles, il couvrait un champ très vaste de l'éventail politique, poussant des pointes loin dans la gauche et loin dans la droite, approuvé d'un côté pour sa politique extérieure et de l'autre pour sa politique sociale, attaqué ici pour sa politique économique et louange là pour avoir rétabli la paix et décolonisé. Bref, le grand brassage, la remise en cause radicale et quasi générale des structures et des idéologies sont largement entamés, même si le régime a masqué cette transformation fondamentale.

Dans ces conditions, il y a plus que jamais un défenseur de l'ordre et un partisan du mouvement dans la tête et le cœur de chaque Français. Il veut les réformes, le progrès, le bonheur, mais il souhaite que tout cela soit fait dans le calme, sans violences et même sans bouleversements. Il veut que « ça change », mais à la condition que, pour lui, les changements soient tous bénéfiques. La carotte pour chacun et le bâton pour les autres. L'hebdomadaire qui, à l'approche de l'élection présidentielle de juin 1969, avait publié un photomontage réalisé à partir de la moitié des traits d'Alain Poher et de la moitié du visage de Georges Pompidou exprimait à sa manière l'impossible synthèse qui eût, comme l'élection l'a prouvé, fait l'unanimité — à ceci près qu'un tiers des Français, en s'abstenant, ont choisi de se placer hors-jeu. Ainsi a débuté, le 15 juin 1969, après onze ans de pouvoir du général, l'après-gaullisme. La France commande à ses pouvoirs et les engendre à son image. C'est pourquoi la logique voulait qu'un « homme quelconque » — ce qui ne constitue nullement un jugement de valeur — succédât au personnage historique.