Ce document est publié le 15 juillet. Il formule, en sept chapitres de propositions, près de cent vingt projets de réformes ou de mesures nouvelles. C'est un travail sérieux, auquel les économistes, les juristes, les financiers, les diplomates de la gauche ont pris une part importante aux côtés des politiques. La plate-forme des fédérés, discutée, analysée, confrontée avec les déclarations de principes de la majorité, avec le programme-manifeste du PC, avec le contre-plan du PSU, avec les objectifs du Centre démocrate, sera dès lors au centre des affrontements sur le fond.
Le procès Ben Barka
À la rentrée, une affaire qui se situe en marge de la politique fera couler beaucoup d'encre. C'est le procès des ravisseurs du leader marocain Mehdi Ben Barka. Les audiences commencent le 5 septembre ; elles seront suspendues le 19 octobre sur un coup de théâtre : l'arrivée du directeur de la Sûreté marocaine, Ahmed Dlimi, venu se constituer prisonnier à Paris. Cette affaire, qui avait soulevé les passions au début de l'année, ne suscite plus le même intérêt dans l'opinion, qui en retient seulement les singulières collusions entre les hommes de main, les agents secrets et certains policiers. L'opposition renoncera même à exploiter à fond ce scandale et, au printemps 1967, le second procès Ben Barka se déroulera dans l'indifférence et s'achèvera, à la surprise générale, par l'acquittement du colonel Dlimi.
À noter encore que la session parlementaire s'ouvre le 3 octobre dans l'euphorie pour la majorité : la veille, l'un des siens, membre du gouvernement, Jean Charbonnel, a arraché de haute lutte la mairie de Brive à la gauche. Cette session sera cependant sans relief ; toutes les grandes affaires en instance — réforme foncière, révision de la loi de 1920 sur la contraception, participation des travailleurs aux fruits de l'expansion des entreprises, réorganisation de la Sécurité sociale — sont tour à tour renvoyées à plus tard, après l'échéance électorale. Un seul texte important, la création des Communautés urbaines, reste, avec le budget, l'ultime contribution de la législature.
La bataille électorale
Les deux derniers mois de l'année 1966 et les deux premiers mois de 1967 vont être entièrement occupés par la mise en place des candidats, la conclusion des dernières alliances, les ultimes prises de position des formations politiques et des leaders, la campagne légale, et enfin, les 5 et 12 mars, les élections elles-mêmes. Ces préparatifs, cette bataille et ses résultats sont rappelés et analysés d'autre part dans cet ouvrage.
La succession
Pendant toute cette période, chaque événement intérieur ou extérieur, la moindre fluctuation des indices de l'économie ou de la Bourse, tout acte politique sont aussitôt saisis par l'un ou l'autre camp, comme une arme tantôt défensive, tantôt offensive, pour le duel impitoyable que se livrent la majorité et l'opposition de gauche. C'est dire que l'hypothèque électorale pèse sur tous les aspects de la vie nationale. Mais ce n'est pas la seule caractéristique d'un épisode passionné et instructif.
Par-delà les péripéties de la campagne et l'étude des résultats des deux tours, que peut-on retenir de ces élections ? Tout d'abord ceci, qui surprendra peut-être : bien que le problème de la succession, de l'après-gaullisme, n'ait été qu'à peine évoqué publiquement, il était constamment à l'arrière-plan des évolutions des stratèges et des leaders, selon la vieille formule « pensons-y toujours, n'en parlons jamais ».
Quand on voit Georges Pompidou s'affirmer comme le chef de la majorité en même temps que du gouvernement et Valéry Giscard d'Estaing mettre toute son énergie à garder, au contraire, une certaine autonomie, une physionomie propre, à l'intérieur du camp gaulliste, la clef de leur attitude n'est pas très malaisée à deviner. L'un veut prendre en main les leviers de commande, l'autre se placer à la charnière des électorats conservateur, libéral et gaulliste, afin d'aborder avec les meilleures chances la compétition qui, peut-être, les opposera lors de la prochaine élection présidentielle.