Retour aux affrontements d'autrefois
L'année politique 1966-67 peut se résumer, dans les affaires intérieures françaises, en quatre mots : une longue campagne électorale. Certes, cette situation n'a pas toujours été clairement perçue par l'opinion.
Longtemps, le grand public ne se sentit guère concerné par les préparatifs et les évolutions qui se déroulaient au sein des états-majors. Il considérait même toute cette agitation avec une certaine indifférence, tantôt sceptique, tantôt résignée, voire blasée.
Pourtant, dans la pratique quotidienne, le gouvernement, les leaders, les partis de la majorité comme ceux de l'opposition et tout le monde politique français agissaient constamment — et cela depuis le début de 1965 déjà — en fonction des échéances électorales, présidentielle d'abord, législatives ensuite. En effet, les préliminaires de la première désignation du chef de l'État au suffrage universel avaient occupé vraiment le devant de la scène à partir de janvier 1965, avec la pré-campagne de Gaston Defferre, les hésitations d'Antoine Pinay, les candidatures de Pierre Marcilhacy et de Jean-Louis Tixier-Vignancour. Les challengers sérieux, c'est-à-dire, selon l'ordre chronologique de leur entrée en lice, François Mitterrand, Jean Lecanuet et enfin le général de Gaulle lui-même, ne devaient se déclarer et engager le fer qu'à la rentrée d'automne.
Cependant, contrairement à l'attente, le débat devant le pays ne s'arrêtait pas au lendemain du second tour, le 19 décembre, une fois acquise la réélection du président de Gaulle.
Le « troisième » tour
Ne dit-on pas alors, du renouvellement de l'Assemblée nationale, qu'il constituerait le troisième tour de l'élection présidentielle ? Sans solution de continuité, une nouvelle campagne s'ouvrait ainsi dès les premiers jours de janvier 1966. Elle devait être d'autant plus précipitée que l'éventualité d'une dissolution qui eût avancé à l'automne la consultation prévue normalement pour le printemps 1967 paraissait alors probable ou, au moins, possible. Cette campagne devait être aussi d'autant plus active qu'une autre incertitude pesait sur les intentions du pouvoir, dont on se demandait s'il modifierait ou non le mode de scrutin, s'il reviserait le découpage des circonscriptions.
Finalement, le général de Gaulle en personne arbitrait le débat ouvert entre ses partisans sur la date des élections et décidait de les laisser se dérouler en mars 1967 — ce qui fut très probablement une erreur de calcul. Encore fallut-il attendre la rentrée d'octobre 1966 pour que cette décision fût définitivement arrêtée. Quant à la loi électorale, elle ne subissait que des retouches qui, tous comptes faits, semblent avoir été plutôt plus dommageables aux gaullistes qu'à leurs adversaires. Le découpage n'était modifié qu'imperceptiblement dans la banlieue lilloise ou marseillaise et par la création de cinq nouveaux sièges dans la région parisienne. L'attente et les discussions sur ces données de base de la stratégie électorale n'en avaient pas moins tenu le personnel politique en haleine pendant toute l'année 1966.
Puis vinrent la bataille elle-même et le scrutin des 5 et 12 mars 1967. Cette fois, on pouvait penser que le suffrage universel allait trancher pour longtemps, et que la fièvre électorale retomberait enfin. Une victoire de la majorité, et la Ve République trouverait son second souffle avec un président et une Assemblée prêts à gouverner ensemble jusqu'en 1972, terme de leurs mandats respectifs. Un succès de l'opposition, et ce serait, à plus ou moins brève échéance, la dissolution et un quatrième tour. Du moins, allait-on savoir à quoi s'en tenir.
Une réponse ambiguë
Eh bien, non ! La réponse du corps électoral fut ambiguë et équivoque. Elle donna bien une majorité au gaullisme, mais douteuse et extrêmement fragile, ainsi qu'on n'allait pas tarder à le constater. Elle insuffla une ardeur nouvelle à des oppositions de gauche coalisées qui n'avaient manqué le pouvoir que de très peu. Contrairement à l'habitude, le climat de compétition et d'incertitude ne se dissipait nullement au lendemain du vote.