Sciences
Les bouleversements continus
En peu d'années, la masse de nos connaissances et de leurs applications pratiques se renouvelle et s'enrichit plus sûrement que naguère en plusieurs décennies. Il n'est pas facile de faire le point au milieu de ce bouleversement continu. Pour y parvenir, nous avons choisi, dans le cours de la période embrassée par ce journal, un certain nombre de faits remarquables à la fois par leur nouveauté, leur importance et leur certitude. Tout choix comporte des risques : le meilleur moyen d'en réduire les effets est de les définir.
Nouveauté
La découverte dans l'espace lointain d'objets rayonnants d'une nature inconnue, l'atterrissage de caméras à la surface de la Lune, ou encore la réunion d'un congrès médical mondial constituent des événements bien situés dans la chronologie.
Il n'en va pas toujours de même des recherches qui se poursuivent dans les laboratoires ; quel qu'en soit l'intérêt, elles ne sont pas forcément jalonnées par des dates notables. Par exemple, le problème de la pollution des eaux et de l'air atmosphérique n'est malheureusement pas nouveau. Mais la plupart des connaissances actuelles dans ce domaine ont été acquises avant 1966 ; il n'en sera donc pas question ici.
Cela ne signifie évidemment pas que l'étude de la pollution ait disparu de l'activité scientifique. Elle continue, au contraire, avec des moyens accrus, et il est possible que d'ici peu l'emploi des ordinateurs détermine, comme en météorologie, un véritable bond dans la connaissance des mécanismes de pollution et des possibilités d'agir sur ces mécanismes.
Importance
Le rôle d'une découverte ou d'une invention ne peut être apprécié sans risque d'erreur que si l'on dispose d'un certain recul dans le temps.
Les exemples abondent de savants se trompant eux-mêmes sur la portée de leurs réussites, tel Rutherford opérant pour la première fois la fission nucléaire et affirmant qu'elle ne trouverait pas d'application pratique.
Le bilan sélectif d'une année qui s'achève ne saurait être définitif. La masse des communications scientifiques publiées en ces douze mois emplirait des bibliothèques ! Développant les faits les plus significatifs, nous en avons laissé de côté quelques autres, dont l'intérêt grandira peut-être au cours de la prochaine période.
Mentionnons-en quelques-uns brièvement, ce qui évitera autant de lacunes. Les chimistes continuent d'opérer la synthèse de composés naguère réputés impossibles, avec les gaz rares de l'air, que l'on a longtemps crus inertes. En bombardant des mélanges fluor-xénon ou fluor-krypton avec des protons ou des particules alpha, on a obtenu aux États-Unis de nouveaux fluorures de xénon (d'autres avaient déjà été synthétisés au cours des années précédentes) et, pour la première fois, des fluorures de krypton.
En Allemagne, on annonce la synthèse de chlorures de xénon. Autre composé paradoxal, le trioxyde de xénon s'est révélé comme un explosif puissant, qui a la propriété de ne pas laisser de traces. La physique et la chimie classiques connaissaient là matière telle qu'elle se comporte dans les conditions de la nature terrestre. En la soumettant à des conditions nouvelles, permises par les techniques modernes, on lui découvre des comportements inattendus, probablement naturels en d'autres régions de l'univers.
Avec des ondes de choc qui créent pendant une microseconde une température de 100 000 °C et une pression égale à 40 000 fois la pression atmosphérique, on arrive à souder sur l'acier ces métaux nouvellement venus dans l'industrie que sont le titane, le niobium et le tantale.
Autre domaine dans lequel l'abondance des découvertes récentes oblige à faire un choix : la géophysique. En sondant systématiquement les abîmes marins, on vient d'établir l'existence d'une chaîne montagneuse continue, longue de 75 000 km, qui suit le milieu des bassins océaniques. Sa signification est sûrement considérable pour comprendre l'histoire du globe. Peut-être représente-t-elle une gigantesque cicatrice causée par l'expansion de l'écorce terrestre.