Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Esquimaux ou Eskimos (suite)

Le même collectivisme régit la répartition des produits de la chasse. La totalité du gibier pris par tous les chasseurs d’une même station est partagée entre tous les habitants de cette station. Quelques principes déterminent parfois l’ordre du partage : par exemple, le chasseur qui a donné le premier coup de harpon se réserve la tête et distribue le reste de l’animal à ses proches parents, puis au reste du groupe. D’autres règles tendent à niveler les richesses : lorsque les possessions d’une famille sont jugées trop importantes, le surplus — dont l’ampleur est évaluée collectivement — est redistribué aux familles les plus démunies. À ce niveau, le chef de la station peut intervenir : il est souvent chargé des partages au sein du groupe. Le titre de chef est attribué non pas en fonction de la naissance, mais d’après des qualités personnelles : capacité de commandement, habileté à la chasse ; c’est souvent un vieillard ou un magicien — l’angekok. Ses pouvoirs restent très limités et ne s’exercent que l’hiver : rôle de conciliation, partages, attribution des places pour les cérémonies, accueil des étrangers ; il peut imposer son autorité lors d’une chasse collective.

En ce qui concerne la vie religieuse, le magicien retrouve l’hiver un rôle prépondérant ; à la torpeur de l’été succède l’exaltation de la conscience communautaire, qui s’exprime à l’occasion de fréquentes cérémonies. Le kashim est le lieu privilégié de ces activités.
— La « cérémonie des vessies » est un rite annuel, effectué par le groupe entier en vue d’assurer la subsistance de chacun de ses membres pendant l’année.
— Lors de la « fête des morts », le groupe actuel se dissout dans la constitution idéale d’un groupe qui englobe toutes les générations — mortes et vivantes. Les Esquimaux attribuent toujours aux derniers-nés les noms des derniers décédés : les enfants sont ainsi réincarnations des ancêtres. L’échange de cadeaux effectué entre vivants pendant la fête des morts est ainsi vécu par les protagonistes comme échange entre vivants et morts.
— Les « fêtes solsticielles d’hiver », culte collectif du feu, s’accompagnent d’une levée des interdits sexuels ; hommes et femmes s’unissent, quel que soit leur degré de parenté, d’après leurs noms afin de reproduire les unions antérieures des ancêtres mythiques. Cette croyance en la réincarnation des âmes est à l’origine de la pratique de l’adoption, liée à une peur de devenir après la mort une âme errante cherchant vainement où se réincarner. Les conditions de vie, particulièrement difficiles, en sont une autre cause : les couples âgés et les veuves ne peuvent survivre l’été sans enfants qui acceptent de chasser pour eux. L’infanticide féminin et l’abandon des vieillards sont également la conséquence de ces problèmes de subsistance.

L’opposition hiver-été est un élément fondamental de la culture esquimaude. Les individus en fonction de leur date de naissance, les animaux d’après l’époque à laquelle on les chasse, les objets selon qu’ils sont utilisés en hiver ou en été sont répartis en deux catégories, entre lesquelles tout contact doit être soigneusement évité. La capture du premier morse, qui marque le début de l’hiver, est aussitôt annoncée par des courriers à toutes les familles dispersées, qui cessent immédiatement les activités d’été. Elles conservent cependant le loisir de ne regagner la station d’hiver qu’un peu plus tard si elles le désirent.

N. D.

➙ Alaska / Canada / Groenland.

 K. Birket-Smith, The Caribou Eskimos (Copenhague, 1929 ; 2 vol.) ; Mœurs et coutumes des Eskimos (Payot, 1937 ; nouv. éd., 1955). / P.-E. Victor, Aventure esquimau (Julliard, 1949). / F. Mowat, Mœurs et coutumes des Esquimaux Caribous (Payot, 1953). / J. Malaurie, les Derniers Rois de Thulé (Plon, 1954 ; nouv. éd., 1976). / Y. Thériault, Agakuk (Grasset, 1958). / I. Paulson, A. Hultkrantz et K. Jettmar, Die Religionen Nordeurasiens und der amerikanischen Arktis (Stuttgart, 1962 ; trad. fr. les Religions arctiques et finnoises, Payot, 1965). / R. Gessain, Ammassalik ou la Civilisation obligatoire (Flammarion, 1969).


Archéologie et art

On peut penser que l’origine des Esquimaux est purement asiatique. Dans le bassin de l’Amour, l’archéologie a mis en évidence des sites datant de 3000 av. J.-C. qui ont pu être rapportés à une population d’Esquimaux ; la pression à laquelle ceux-ci furent soumis aux époques conquérantes de la civilisation chinoise, la poursuite des baleines vers le détroit de Béring expliquent la pénétration graduelle des Esquimaux à travers l’Alaska jusqu’aux archipels arctiques et au Groenland ainsi que la spécialisation de leurs activités. À la même époque, le développement des cultures chinoises en faisait la source d’un rayonnement qui atteignit rapidement les émigrants. Les Indiens Nootkas de l’île de Vancouver, en Colombie britannique, les plus distingués pêcheurs de baleines qu’on ait connus, sont les témoins d’une forme primitive de la civilisation esquimaude, antérieure aux stades révélés par l’archéologie en Alaska, au cap Dorset ou à Thulé et qui sont tous marqués de l’influence chinoise.

Dans le Nord américain, on admet que la culture de Denbigh, mise au jour sur les côtes du détroit de Béring, était le fait de chasseurs de phoques et de caribous acclimatés dès 2000 av. J.-C. sur la baie d’Hudson, à Churchill, dans la presqu’île d’Ungava ainsi qu’au Groenland, dont les sites archéologiques sont dénommés prédorset, par opposition aux sites contemporains denbigh du détroit de Béring. C’est vers 800 av. J.-C. qu’apparaît dans les mêmes régions une technologie nouvelle (dite dorset, d’après le cap Dorset), caractérisée par une grande richesse en instruments divers et où les pointes de harpon sont fréquemment, et pour la première fois, en ardoise polie. Cette période se prolonge jusqu’en 800 de notre ère en Alaska et jusque vers 1300 au Groenland. De cette époque datent les premiers témoignages figurés. Il s’agit surtout de petites sculptures en ivoire de morse, dont certaines avaient vraisemblablement valeur d’amulettes, déjà empreintes de la douceur d’expression que montre la sculpture esquimaude ultérieure.