Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Esquimaux ou Eskimos (suite)

La culture dite de Thulé n’est aucunement surgie dans l’extrême nord du Groenland comme le voudrait son nom. Elle est née vers 800 en Alaska et s’est répandue vers l’est pour supplanter la culture dorset jusqu’au Groenland, où elle s’est établie vers 1300. Soit que les conditions biologiques aient changé, soit qu’une spécialisation préalable ait marqué les envahisseurs, il s’agit d’une civilisation de pêcheurs de baleines comparable à celle des Proto-Esquimaux et des Nootkas. Le règne de ces pêcheurs sera assuré sur tout l’extrême nord du Canada jusqu’à la quasi-disparition des baleines des mers arctiques au cours des xviiie et xixe s. Dès lors, contraints d’abandonner la vie sédentaire pour s’emparer d’un gibier bien plus petit et dispersé dans les fjords à glace mince, les Esquimaux revêtirent les traits sous lesquels nous les connaissons depuis un siècle.

C’est sans doute à la culture dorset qu’il faut rapporter les Skraelings, c’est-à-dire les premiers Esquimaux dont ont fait mention les Européens à la suite de leurs tentatives d’établissement au Groenland durant les ixe et xe s. et de leurs voyages à Terre-Neuve. Les formules artistiques du dorset, à l’évidence, procèdent d’une conception du monde uniforme quant à ses grandes lignes dans toutes les manifestations des Esquimaux : rien n’autorise à la différencier de l’esprit de familiarité prévenante qui caractérise leurs descendants devant la nature et les êtres vivants dont ils dépendent économiquement. Le style des ivoires du dorset est généralement réaliste. Dans la figuration du visage humain, il montre l’attitude d’une méditation sereine après la lutte ; il est proche, par l’expression qui leur est donnée, de masques d’Alaska sculptés soit en bois, soit en os de baleine et présentant le visage avec une économie de moyens et un classicisme qui contrastent avec les autres productions artistiques de l’Alaska.

À l’époque moderne, trois provinces de l’art esquimau se distinguent clairement. À lest des bouches du Mackenzie, aussi bien sur les rives de l’Hudson qu’en terre de Baffin et au Groenland, l’activité artistique se limite à peu près à l’ornementation d’objets usuels en ivoire marin, dont elle est censée accroître l’efficacité. L’art est purement graphique. Le trait est anguleux, prêtant aux personnages une allure idéographique. Le dessin est gravé et rehaussé de noir. L’art du masque est inconnu, sauf au Groenland, où il cherche à susciter le rire dans des fêtes publiques.

Tout différent est l’art des îles Aléoutiennes, d’où proviennent, trouvés dans des grottes funéraires, des masques d’une extrême brutalité dans le réalisme. Ces cavernes, réservées aux pêcheurs de baleines, avaient, dans les temps plus anciens, servi de sépulture commune. Les masques aléoutiens sont le plus souvent des demi-masques en profil, si bien qu’on a imaginé qu’ils étaient cérémoniellement fendus en deux suivant le plan du nez. La proximité de la Colombie* britannique, d’où proviennent des masques dits « à transformation », composés de volets articulés, rend improbable cette interprétation.

Mais c’est en Alaska qu’il faut chercher les plus éclatants témoignages de l’imagination plastique des Esquimaux. C’est aussi là, notamment sur le cours du Yukon et de la Kuskokwim, que le chamanisme (v. magie) a trouvé son illustration la plus grandiose. Construits pour les fêtes dites de l’invitation, dont l’objet est d’obtenir la bienveillance des esprits du monde animal avant les chasses ou les pêches, les masques que portent alors les danseurs invitent non seulement les hommes, mais l’ensemble des êtres naturels à une minute d’effusion qui donne le ton pour toutes les autres dont est faite aussi la vie. Ces masques sont essentiellement composites. Ils procèdent de l’esprit d’assemblage et affirment la diversité des apparences et des êtres. Le solide, le mobile et le plumeux en forment les éléments : mais liés par une harmonie qui se dérobe devant tout examen savant, en s’enveloppant des prestiges du mystère naturel. Ces témoignages sacrés d’un accord fondamental de l’homme avec le monde sont formulés en un langage que l’histoire des arts pourrait qualifier d’ultra-moderne, tant il semble que l’audace des sculpteurs esquimaux reste insurpassable.

V. B.

essai

Ouvrage d’une grande liberté de composition, regroupant des réflexions diverses ou traitant un sujet qu’il ne prétend pas épuiser.



« Il n’est pas de science plus ardue que de savoir vivre cette vie bien et naturellement »

À l’image des grandes formes littéraires écrites, définies et personnelles, l’essai enfonce ses racines au plus lointain du riche fonds oral, anonyme et collectif de l’humanité, dans un inépuisable substrat de proverbes, d’axiomes, de maximes et d’aphorismes constituant la somme des observations et de l’expérience que les peuples ont amassées au cours des siècles. Groupées en rubriques comme le révèle par exemple l’Ecclésiastique, ces formules lapidaires offraient non seulement la matière de la réflexion, mais également la direction à lui donner et, peut-être plus encore, la manière de l’exprimer. C’est donc avec quelque raison qu’en 1612 Bacon pouvait écrire en tête de ses Essays : « Le mot essai est récent, mais la chose est ancienne. » Et il fait référence aux Épîtres à Lucilius de Sénèque. Il eût pu aussi bien, en remontant plus avant dans le temps, parler du Livre de la voie de la vertu de Laozi (Lao-tseu) ou des règles pour devenir ce que Confucius appelle le junzi (kiun-tseu) et le xviie s. un honnête homme. Il faudrait encore rappeler les sages conseils donnés à la jeunesse dans le livre des Proverbes, l’étude critique du bonheur dans l’Ecclésiaste, et on ne saurait oublier le Traité des caractères de Théophraste, qui exercera une influence directe sur un grand nombre d’écrivains en Angleterre et plus nettement en France, où, en 1580 et pour la première fois, Montaigne* révèle le mot Essais au public.