Abbassides
Troisième dynastie de califes arabes qui a régné, depuis sa capitale Bagdad (aujourd’hui en Iraq), sur l’ensemble de l’Empire musulman (califat abbasside, 750-1258) après avoir mis fin au califat des Omeyyades ; le califat abbasside, devenu purement nominal, a ensuite été transféré au Caire (1258-1517).
HISTOIRE
1. La conquête du pouvoir
Les Abbassides sont les descendants de Abbas, l'un des oncles du prophète Mahomet. Forts de cette parenté, ils parviennent à exploiter le mécontentement des populations à l'égard des Omeyyades pour s'emparer du pouvoir en 750. Les chiites, et principalement ceux de la Perse, contribuent largement, sous la direction d'Abu Muslim, au succès des Abbassides.
Toutefois, la chute des Omeyyades ne découle pas d'antagonismes raciaux, mais plutôt d'une révolte sociale contre l'aristocratie arabe. Le moteur de la révolution réside dans le mécontentement économique et social des populations citadines non privilégiées. Marchands et artisans des villes de garnison, prenant conscience de l'importance de leur rôle dans le domaine économique, aspirent à la direction des affaires politiques. Au surplus, la classe dirigeante du royaume omeyyade devient, avec la cessation des guerres de conquête – seule activité productive de l'aristocratie –, une caste historiquement désuète.
Son renversement nécessite pourtant une conjugaison d'intérêts divers. Une fois la victoire remportée, la coalition contre les Omeyyades éclate, se scindant en groupes dressés les uns contre les autres. Les Abbassides commencent par se débarrasser de l'aile extrémiste du mouvement : Abu Muslim est exécuté avec plusieurs de ses compagnons et l'émeute fomentée par ses partisans est écrasée dans le sang. Tous les Persans ne sont pas pour autant écartés de la vie politique ; bien au contraire, l'aile modérée s'apprête à jouer un rôle de premier plan dans la direction de l'Empire.
Califes abbassides de Bagdad | |
Règne | Calife |
749-754 | Abu al-Abbas al-Saffah |
754-775 | Abu Jaffar al-Mansur |
775-785 | Al-Mahdi |
785-786 | Musa al-Hadi |
786-809 | Harun al-Rachid |
809-813 | Al-Amin |
813-833 | Al-Mamun |
833-842 | Al-Mutasim |
842-847 | Al-Wathiq |
847-861 | Al-Mutawakkil |
861-862 | Al-Muntasir |
862-866 | Al-Mustain |
866-869 | Al-Mutazz |
869-870 | Al-Muhtadi |
870-892 | Al-Mutamid |
892-902 | Al-Mutadid |
902-908 | Al-Muktafi |
908-932 | Al-Muqtadir |
932-934 | Al-Qahir |
934-940 | Al-Radi |
940-944 | Al-Muttaqi |
944-946 | Al-Mustakfi |
946-974 | Al-Muti |
974-991 | Al-Tai |
991-1031 | Al-Qadir |
1031-1075 | Al-Qaim |
1075-1094 | Al-Muktadi |
1094-1118 | Al-Mustazhir |
1118-1135 | Al-Mustarshid |
1135-1136 | Al-Rashid |
1136-1160 | Al-Muktafi |
1160-1170 | Al-Mustandjid |
1170-1180 | Al-Mustadi |
1180-1225 | Al-Nasir |
1225-1226 | Al-Zahir |
1226-1242 | Al-Mustansir |
1242-1258 | Al-Mustasim |
2. L'apogée de l'Empire abbasside
2.1. Le rayonnement de Bagdad
Le centre de l'Empire musulman, en Syrie sous les Omeyyades (→ Damas), est déplacé en Iraq, où le premier calife abbasside, Abu al-Abbas al-Saffah (749-754), établit sa capitale : d'abord dans la petite ville de Hachimiyya, bâtie sur la rive orientale de l'Euphrate, puis à Anbar.
Le deuxième calife, Abu Djafar al-Mansur (754-775), transfère le siège de l'Empire abbasside sur la rive occidentale du Tigre, non loin des ruines de l'ancienne capitale sassanide (Ctésiphon), dont les pierres servent à la construction de la nouvelle cité Madinat al-Salam (« ville de la paix »), plus connue sous le nom de Bagdad. Occupant une position clé, la nouvelle capitale est destinée à devenir le « marché de l'univers ». Le transfert du siège de l'Empire de la province méditerranéenne de Syrie à la Mésopotamie favorise les vieilles influences orientales et particulièrement celles de la Perse.
Pour en savoir plus, voir les articles Bagdad, Iraq, Omeyyades.
Jusqu'au règne de Harun al-Rachid (786-809), la puissance de l'Empire abbasside semble inébranlable. La civilisation musulmane atteint avec ce calife un degré de raffinement resté légendaire. Bagdad est alors non seulement le centre politique et économique du monde, mais aussi un haut lieu d'art, de culture et de pensée. Cette civilisation connaît son apogée sous le règne d'al-Mamun (813-833). Très cultivé, ce calife encourage le développement et la confrontation des idées dans un climat d’exceptionnelle tolérance pour l'époque. Il institue en 830 un centre de traduction appelé « Dar al-Hikma » (« Maison de la Sagesse »), grâce auquel de nombreux manuscrits grecs disparus nous sont parvenus en version arabe.
2.2. L’organisation de l’Empire abbasside
Gouvernement et administration
Le califat abbasside ne s'appuie plus, comme au temps des Omeyyades, sur le consensus des chefs de tribus. Il ne relève pas du régime des cheikhs préislamiques, mais plutôt des traditions de l'Empire sassanide. Le régime abbasside est une autocratie de droit divin. « Ombre de Dieu sur terre », le calife gouverne avec l'appui des forces armées et l'aide d'une bureaucratie salariée qui se substitue à l'aristocratie arabe. Il s'entoure du cérémonial d'une cour hiérarchique qui contraste avec la simplicité des Omeyyades.
Pour en savoir plus, voir l'article califat.
Dans le domaine administratif, les Abbassides maintiennent, en la modifiant peu à peu, l'organisation mise au point dans la première moitié du viiie siècle par le calife omeyyade Hicham. Ils y ajoutent des usages de l'ancien régime persan des Sassanides. L'administration n'est plus, comme au temps des Omeyyades, l'apanage de l'aristocratie arabe : ses cadres se recrutent essentiellement parmi les musulmans non arabes (mawali). Ceux-ci occupent un haut niveau social et sont organisés en divans ou ministères (Chancellerie, Armée, Sceau, Finances, Postes et Informations, etc.) sous l'autorité suprême du vizir, personnage tout-puissant. Les Barmakides, une famille d'origine persane, remplissent cette haute fonction jusqu'en 803, date de leur renversement par Harun al-Rachid.
Pour en savoir plus, voir l'article Sassanides
Dans les provinces, l'autorité est partagée entre l'émir (ou gouverneur) et l'amil (ou grand intendant des Finances), qui disposent chacun d'un état-major et d'une force armée. Ils exercent leur pouvoir sous la surveillance générale du maître des Postes, dont le rôle consiste à adresser des rapports sur la situation de la province au ministère des Postes et Informations de Bagdad.
De même que l'administration, l'armée n'est plus l'apanage des Arabes. Les pensions ne sont maintenues que pour les soldats de carrière. À la milice arabe on substitue des troupes mercenaires. Les premiers califes abbassides s'appuient sur la garde formée de soldats originaires du Khorasan, particulièrement dévouée à leur personne. Plus tard, ces Persans sont remplacés par des esclaves (appelés mamelouks), pour la plupart originaires de Turquie d'Asie.
L'autorité des Abbassides s'appuie également sur la religion. Les califes sont pleins d'égards pour les chefs religieux et les jurisconsultes, dont l'influence est très grande sur la population musulmane. L'objectif des Abbassides, en donnant un caractère religieux à leur régime, est précisément d'assurer la cohésion des divers éléments ethniques et sociaux de cette population.
L'essor économique
Le succès des Abbassides se manifeste nettement dans le domaine économique. La nouvelle classe dirigeante, issue de milieux de marchands, d'agriculteurs ou d'artisans, favorise le développement économique, d'autant plus qu'avec la fin des conquêtes l'Empire doit compter sur ses propres ressources. Des travaux d'irrigation et d'assèchement des marais permettent l'extension de la zone cultivée. Les récoltes de froment, d'orge, de riz, de dattes et d'olives atteignent de très hauts rendements.
L'importance des ressources minérales (or, argent, cuivre, fer, etc.) permet le développement du travail des métaux. Toutefois, l'industrie la plus importante est celle du textile. Tissus à la pièce, vêtements, tapis, tapisserie, tissus d'ameublement et coussins sont fabriqués en Égypte, mais surtout en Perse. L'introduction de la culture du coton, ajoutée à l'existence d'une sériciculture héritée des Sassanides, fait de ce dernier pays le centre industriel le plus important de l'Empire musulman. Les Abbassides introduisent l'industrie du papier, qui connaît très vite un grand développement.
Cet essor économique ajouté à la position géographique de l'Iraq favorise le développement du commerce avec l'Europe et l'Extrême-Orient. Les marchands musulmans effectuent à partir des ports du golfe Persique et de la mer Rouge des échanges avec l'Inde, Ceylan, les Indes orientales et la Chine. De ces pays, ils rapportent des épices, des aromates, du bois précieux et d'autres articles de luxe, destinés tant à la consommation intérieure qu'à la réexportation vers l'Europe et l'Empire byzantin chrétien. Ce dernier exporte dans le monde musulman des vaisselles d'or et d'argent, des pièces d'or, des drogues, mais aussi des ingénieurs hydrauliques, des esclaves, des eunuques. Le commerce islamique s'étend jusqu'à la Baltique en passant par la mer Caspienne, la mer Noire et la Russie, d'où proviennent les fourrures, les peaux et l'ambre. Les Arabes commercent aussi avec l'Afrique, d'où ils importent de l'or et des esclaves. Le commerce avec l'Europe occidentale s'effectue par l'intermédiaire de marchands juifs, principalement ceux du midi de la France, qui servent d'agents de liaison entre deux mondes hostiles.
Pour en savoir plus, voir les articles Arabes, Empire byzantin : histoire.
La prospérité du commerce et des entreprises donne naissance à des établissements bancaires. Au ixe siècle, le sarraf (ou changeur) – personnage indispensable dans une économie fondée sur une double monnaie, le dirham d'argent d'origine persane et le dinar d'or d'origine byzantine – se transforme en banquier. Très vite, le système bancaire atteint un niveau d'organisation avancé. Bagdad devient le centre de puissantes banques qui disposent de succursales dans l'Empire. Les marchands possèdent des comptes en banque et utilisent dans leurs transactions les chèques et les lettres de crédit. L'islam interdisant l'usure, la plupart des banquiers sont juifs ou chrétiens.
L'organisation sociale
Les Arabes cessent de former une caste fermée héréditaire pour s'ouvrir à tous les musulmans d'expression arabe. La différenciation ethnique s'estompe avec le progrès de l'arabisation. Une nouvelle classe composée de riches et d'érudits se substitue à l'aristocratie guerrière dans la direction de l'Empire. Il s'agit de grands possédants enrichis dans les opérations commerciales et bancaires, les spéculations et l'exploitation de la terre, et de fonctionnaires bien rémunérés, dont les emplois offrent des possibilités illimitées de profits additionnels.
Cette classe comprend, à côté des musulmans, des dhimmis (sujets non musulmans de l'Empire), qui, quoique citoyens de seconde zone, pratiquent librement leur religion, disposent du droit de propriété et occupent des postes importants dans l'administration.
La révolution économique se traduit également par la détérioration du niveau de vie des paysans, due aux spéculations des marchands et des grands propriétaires, et à l'introduction d'une main-d'œuvre servile dans les grands domaines. La naissance d'un prolétariat important ne tardera pas à devenir pour le régime abbasside une source de difficultés.
3. Les mouvements de contestation
Dès le règne de Harun al-Rachid (786-809), les contradictions de l'Empire abbasside commencent à se manifester. En 803, l'éviction des Barmakides du vizirat ébranle l'alliance des Abbassides avec l'aristocratie persane. À la mort de Harun al-Rachid, ces contradictions se traduisent par une guerre civile entre les deux fils du calife, al-Amin et al-Mamun, soutenus respectivement par les Irakiens et les Iraniens. Cette lutte entre les deux frères recouvre de vieux antagonismes sociaux, doublés d'un conflit régional entre la Perse et l'Iraq.
3.1. Les premières révoltes sociales
Les problèmes sociaux hérités du régime omeyyade s'aggravent à l'époque abbasside sous l'effet du développement économique. Des mouvements sont nés, qui, sous une forme religieuse, masquent des rivalités économiques et sociales. Dans une société où le temporel se confond avec le spirituel, les sectes religieuses constituent les cadres naturels pour défier l'ordre établi.
Ces mouvements se développent d'abord en Perse, où les partisans chiites d'Abu Muslim (qui a aidé à la chute du califat omeyyade) fomentent, à la suite de son exécution, une série de révoltes paysannes qui se réclament d'une idéologie relevant d'un mélange de principes mazdakites et chiites extrémistes. La plus dangereuse de ces révoltes – celle de Muqanna (« le Voilé ») – s'étend à travers le Khorasan, jusqu'en Asie centrale. Les Abbassides parviennent, sans grandes difficultés, à écraser ces mouvements chiites. Leur régime semble même au début du ixe siècle au faîte de sa puissance. Or c'est précisément à cette époque qu'émergent les difficultés. L'Empire paraît, sous l'effet du développement économique, échapper au contrôle de la classe dirigeante.
De 816 à 837, un Persan, Babak, mène parmi les paysans, auxquels il promet le partage des terres, un mouvement qui, de l'Azerbaïdjan, gagne le sud-ouest de la Perse, les provinces caspiennes et l'Arménie. Après avoir miné pendant plus de vingt ans le régime abbasside, la révolte de Babak est écrasée en 838 par le calife al-Mutasim.
3.2. La révolte des zandj
Après une période de répit, les Abbassides affrontent de 869 à 883 la révolte des esclaves noirs connus sous le nom de zandj (ou zendj). Dans la société islamique, les esclaves sont le plus souvent des domestiques ou des soldats. Dans ce dernier cas, ils sont appelés mamelouks et constituent une caste privilégiée très influente dans les affaires d'État. Or, avec le développement économique de l’Empire, nombre d’esclaves commencent à être employés dans les travaux agricoles ou dans les salines à l'est de Bassora. Le travail de ces derniers consiste à drainer les marais salants en vue de préparer le terrain pour l'agriculture et extraire le sel pour la vente. Ils opèrent par équipes de 500 à 5 000, dans des conditions particulièrement difficiles. Maltraités, mal nourris, ils constituent des troupes de choix pour un mouvement d'opposition.
En septembre 869, un Persan, Ali ibn Muhammad, entreprend de soulever ces esclaves. Il leur promet d'améliorer leur niveau de vie, de les rendre à leur tour maîtres d'esclaves et de leur donner de belles demeures. Il les convertit au kharidjisme, doctrine égalitaire qui affirme que le califat doit revenir au meilleur des musulmans, fût-il esclave. Fanatisés par Ali ibn Muhammad, les zandj considèrent comme infidèles tous les autres musulmans. Ils entreprennent de mener une lutte à mort contre ces hérétiques qui, à leurs yeux, se confondent avec les grands propriétaires.
Leur mouvement s'étend très vite grâce au ralliement des troupes noires des armées impériales, à l'adhésion de certaines tribus bédouines et à la solidarité des paysans hostiles aux propriétaires. Les zandj infligent plusieurs défaites à l'armée impériale, s'emparent d'importantes régions en Iraq et en Perse, occupent en 878 Wasit (une vieille ville de garnison) et menacent Bassora et Bagdad. Pour venir à bout de cette révolte, les Abbassides organisent une importante force expéditionnaire. Le mouvement des zandj, qui subit ses premières défaites au début de 881, est définitivement écrasé à la fin de 883.
3.3. Le mouvement des ismaéliens
Plus radical encore est le mouvement des ismaéliens, une ramification du chiisme qui traduit le mécontentement des opprimés de l'Empire. Très organisés, les ismaéliens obéissent aveuglément à l'imam – descendant de Ali par son épouse Fatima, la fille de Mahomet –, considéré comme inspiré de Dieu et donc infaillible. Au début du xe siècle, la secte exerce, à la faveur de la crise sociale de l'Empire, un puissant attrait sur le les artisans et le petit peuple des villes.
Vers 894, des ismaéliens connus sous le nom de qarmates s'emparent du pouvoir dans la province de Bahreïn après avoir ravagé la Syrie, la Palestine et la Mésopotamie septentrionale. Ils constituent une république oligarchique dirigée par un Conseil de six, qui gouverne avec équité. L'État subvient aux besoins des pauvres et donne à tout artisan étranger venu à la capitale les fonds nécessaires à son établissement.
En 901, d'autres ismaéliens occupent le Yémen, à partir duquel ils envoient des missionnaires en Inde et en Afrique du Nord. En 908, leur mission nord-africaine se solde par un immense succès en Tunisie. Ils constituent alors la dynastie des Fatimides, qui parvient à contrôler progressivement l'Afrique du Nord, la Sicile, l'Égypte, la Syrie et l'Arabie occidentale.
Pour en savoir plus, voir les articles ismaélisme, Fatimides.
4. Le déclin de l’Empire abbasside
4.1. La dislocation de l'unité politique
En minant le régime abbasside, les différents mouvements de contestation contribuent à la dislocation de l'unité politique de l'Empire musulman. Celle-ci commence, il est vrai, plus tôt pour les provinces occidentales. Dès 756, l'Espagne échappe au contrôle des Abbassides avec la création de l’émirat omeyyade de Cordoue. Le Maroc et la Tunisie acquièrent une autonomie de fait respectivement en 788 et 800. L'Égypte se détache de l'Empire en 868 et étend sa domination sur la Syrie. Quelques années auparavant, en 820, Tahir ibn Husayn (un général persan au service d'al-Mamun) a établi un gouvernement héréditaire en Perse orientale. Des dynasties se constituent en d'autres parties de la Perse : celle des Saffarides vers 867 et celle des Samanides vers 874. Au cours du xe s., plusieurs tribus arabes du désert syrien établissement de brillantes dynasties bédouines, comme celle des Hamdanides de Mossoul et d'Alep.
Pour en savoir plus, voir l'article histoire de l'Espagne.
4.2. L’autorité califale mise à mal
Au demeurant, même en Iraq, la réalité du pouvoir n'appartient plus aux Abbassides. À partir du ixe siècle, aux problèmes sociaux viennent s'ajouter des difficultés économiques dues essentiellement au luxe excessif de la cour et au poids écrasant de la bureaucratie. Pour pallier cette situation, les califes afferment les domaines d'État à des gouverneurs de district, qui doivent, en contrepartie, verser une somme au gouvernement central et assurer l'entretien des troupes et des fonctionnaires locaux.
Devenus les véritables chefs de l'armée, ces « gouverneurs-fermiers » s'imposent par leur intervention contre les révoltes sociales. Commandants de l'armée et gardes des califes, le plus souvent des mamelouks turcs, ils deviennent à partir d'al-Mutasim (833-842) et d'al-Wathiq (842-847) les maîtres de l'Empire. En 836, la résidence impériale est transférée à Samarra, qui restera capitale jusqu'en 892. En 945, à la suite de la prise de Bagdad par la famille persane des Buwayhides, les califes perdent les derniers vestiges de leur autorité et se trouvent, dès lors, à la merci des maires de palais, en général persans ou turcs, qui gouvernent avec l'appui des troupes placées sous leur commandement.
En 1055, les Turcs Seldjoukides chassent les Buwayhides de Bagdad et constituent un immense empire, comportant la plus grande partie de la Perse, l'Iraq, la Syrie, la Palestine et une bonne partie de l'Anatolie. Pour légitimer leur pouvoir, ils laissent aux califes abbassides une apparence de souveraineté.
Pour en savoir plus, voir l'article Seldjoukides.
4.3. La chute des Abbassides
Au début du xiiie siècle, les Mongols de Hulagu envahissent le monde musulman, occupent Bagdad en 1258 et abolissent le califat abbasside. L'Égypte et la Syrie échappent à la domination des Mongols grâce au régime ayyubide, qui, aguerri au cours des croisades, résiste aux envahisseurs. Peu de temps après l'occupation de Bagdad, commandants de l'armée et gardes des sultans ayyubides (mamelouks d'origine turque) s'emparent du pouvoir.
Pour en savoir plus, voir les articles Ayyubides, Mongols.
Pour donner une base légale à leur autorité, les mamelouks font venir au Caire un Abbasside survivant du massacre de Bagdad et l'intronisent en grande pompe comme calife. Les Abbassides conservent cette dignité spirituelle jusqu'à l'avènement des Turcs Ottomans, qui occupent en 1516-1517 l'Égypte et la Syrie, chassent les mamelouks et s'attribuent d'abord les privilèges, ensuite le titre de calife. (→ Empire ottoman.)
BEAUX-ARTS
Si les arts abbassides couvrent tous les pays soumis au califat de Bagdad et, dans une moindre mesure, les terres musulmanes qui lui échappent, c'est essentiellement en Iraq que nous aurons à les considérer. Pendant le premier siècle de son histoire, l'islam des Omeyyades (depuis sa capitale de Damas) a eu surtout pour tâche de marier les impératifs arabes et coraniques avec la culture hellénistique. Avec la fondation de Bagdad, il se détourne du monde classique et paléochrétien, et s'ouvre largement à la civilisation iranienne ; l'art sassanide, et du même coup celui du vieil Iran, exerce une influence prépondérante. Avec le recrutement de mercenaires turcs, l'islam accepte en partie les traditions de l'Asie centrale ; nous les percevons moins bien, car elles sont moins connues et parfois apparentées à celles de l'Iran. Ainsi, les nouvelles écoles artistiques, sans abandonner totalement l'acquis omeyyade, vont l'enrichir considérablement et parachever une création qui n'était jusqu’alors qu'ébauchée.
Architecture abbasside
L’urbanisme
Le plan urbanistique de Bagdad (capitale fondée en 762, achevée en 766) est copié sur celui des villes sassanides : son fondateur, Abu Djafar al-Mansur, inscrit la ville dans une enceinte circulaire garnie de tours cylindriques et percée de quatre portes ; il place en son milieu le palais impérial et la Grande Mosquée. Il ne reste de cette première ville que des témoignages littéraires. En revanche, il subsiste une fraction de la muraille de Raqqa, qui affectait la forme d'un arc en fer à cheval. Au viiie s., à Raqqa, la porte dite « de Bagdad » et, en Palestine, la citerne de Ramla attestent l'emploi de l'arc brisé plusieurs siècles avant son apparition en Europe.
La disparition de Bagdad et la relative pauvreté de Raqqa sont compensées par les trouvailles archéologiques faites à Samarra, capitale éphémère (836-892) abandonnée ensuite aux sables. Dans cette immense cité, s’étalant sur 33 km le long de la rive orientale du Tigre, on a retrouvé, outre de nombreuses maisons particulières, les ruines d'un ensemble de monuments répartis en trois secteurs : au centre, le palais califal, la Grande Mosquée de Djafar al-Mutawakkil et deux hippodromes ; au nord, le château Djafari et la mosquée d'Abu Dulaf ; au sud, un autre palais (le mieux conservé de Samarra), le Balkuwara. Sur la rive ouest, plusieurs autres palais avaient été édifiés (Qasr al-Achiq), ainsi qu'un tombeau monumental, le Qubbat al-Sulaybiyya.
L’apport architectural
Samarra, comme Bagdad et Raqqa, était construite en briques cuites ou crues. L'emploi systématique de ce matériau non seulement pour les murs, mais encore pour les piles, substituées aux colonnes, et pour les couvertures allait favoriser les voûtes, qui étaient connues en Syrie, mais dont l'Iran offrait un plus complet échantillonnage. Parmi les diverses voûtes utilisées, dont la coupole, celle dont l'emprunt est le plus heureux et le plus retentissant est l'iwan, vaste salle en berceau fermée de trois côtés béante de toute sa hauteur sur le quatrième. L’antique palais de Ctésiphon en offrait un magnifique exemple, qui allait être repris dans les palais de Samarra. Ce n'est pas le seul emprunt de l'art palatial samarrien à l'art palatial sassanide.
À 120 km au sud-ouest de Bagdad, le château d'Ukhaydir, mis en chantier vers 778, est plus caractéristique de l'art nouveau par la grande variété de ses voûtes, dont celles de l'iwan, et par ses installations défensives que par son plan, qui suit encore celui des édifices omeyyades. C'est encore aux portes des châteaux que, pour la première fois, on utilise les stalactites pour équilibrer les poussées : cette méthode fera fortune dans tout l'islam.
La Grande Mosquée de Samarra, reconstruite par al-Mutawakkil à partir de 848-849, et la Grande Mosquée de Raqqa, fondée en 772, ont leurs salles de prières agencées selon le modèle établi sous les Omeyyades à Kufa, mais déjà inspirées par la salle hypostyle des apadanas achéménides : une forêt de piles supporte directement le plafond, sans intervention de l'arc. À Samarra, la Grande Mosquée – qui forme un rectangle de 260 x 180 m, lui-même entouré d'une autre enceinte près de quatre fois plus vaste – est le plus grand sanctuaire jamais construit en islam. Il n'en reste que les murailles, épaisses de 2,65 m et hautes de 10,50 m, renforcées de tours semi-circulaires, et le célèbre minaret, la Malwiyya, construit à proximité d'elles et recopié quelques années plus tard à la mosquée d'Abu Dulaf. Ce minaret est une tour au noyau cylindrique entouré d'une rampe en hélice, dont la masse diminue de la base au sommet. On s'accorde en général à le dire dérivé des ziggourats mésopotamiennes. Son rôle architectural a été considérable, car il a permis d'échapper au seul modèle des minarets sur plan carré, inspiré des clochers syriens.
Quand Ahmad ibn Tulun, fils d'un mercenaire turc de Samarra et gouverneur d'Égypte, veut, en 876, construire à Fustat (Le Caire) une nouvelle mosquée, il pense à celle d'al-Mutawakkil. L'oratoire qu'il fait édifier, un des plus beaux d'Égypte, donne, en pierre, une version aménagée de la Malwiyya. Très différente de conception est la sainte mosquée al-Aqsa de Jérusalem, dont la partie subsistante la plus ancienne serait, selon plusieurs archéologues, d'époque abbasside. Avant les transformations qu'elle subit au Moyen Âge, elle comprenait une nef centrale flanquée de quatorze nefs plus étroites sous toits à pignons. Ce plan semble d'inspiration omeyyade.
Le Qubbat al-Sulaybiyya de Samarra, malgré les antécédents qu'on a voulu lui trouver, apparaît comme le premier mausolée édifié en islam, et l'on comprend l'importance qu'il revêt de ce fait, puisque, par la suite, l'art funéraire, nonobstant les prescriptions religieuses, ne cessera de se développer. C'est une construction octogonale dans laquelle se trouve emboîté un second octogone entouré d'un couloir. Si ce plan porte nettement la marque de son origine paléochrétienne (martyrium syro-palestinien), il ne semble pas exclu que les coutumes funéraires turques aient pu être responsables de l'érection du bâtiment.
Arts ornementaux
Comme l'architecture, le décor subit sous les Abbassides une évolution radicale. Tandis que, chez les Omeyyades, il était le plus souvent sculpté à même la pierre, il est désormais en stuc et plaqué sur des murs de brique dont il recouvre toutes les parties basses, alors qu'au-dessus s'alignent des niches où se développent des compositions peintes. Bien que stucs et plâtres aient été retrouvés aussi à al-Hira (en Iraq), à Bukhara (Boukhara), plus tard à Balis (en Syrie), etc., Samarra permet d'étudier l'évolution du style et de distinguer, assez sommairement, trois écoles. Dans la plus ancienne, le décor est moulé, et son thème principal demeure le rinceau de feuilles de vigne à cinq lobes. Dans la deuxième, le rinceau disparaît, et la feuille fait place à un bourgeon. Dans la troisième, les stucs sont sculptés ou moulés, le relief s'amenuise, et les bords des tracés sont adoucis par la taille oblique : on a suggéré que cette technique, qu'on retrouve d'ailleurs employée dans la pierre et surtout le bois, avait été importée d'Asie centrale. Elle fleurira en Égypte tulunide province avertie de l'art abbasside.
Les œuvres sculptées abbassides peuvent sembler monotones, mais leur beauté réside dans le mouvement, la largeur et la vigueur du dessin. Elles annoncent par ailleurs, d'une certaine façon, l'arabesque, qui ne sera pleinement réalisée qu'au xie s. On la pressent sur la chaire à prêcher (minbar) de la Grande mosquée Sidi Uqba de Kairouan (862-863), fabriquée, en bois de teck, dans les ateliers de Bagdad.
La peinture de Samarra a beaucoup souffert de l'usure des siècles et des effets de la Seconde Guerre mondiale ; nous la connaissons surtout par d'anciens relevés. Les peintres abbassides choisissent en général des sujets semblables à ceux des peintres omeyyades : femmes drapées, danseuses au torse nu, scènes de chasse, califes en majesté, soldats et animaux. En revanche, ils les traitent d'une manière toute différente. La structure symétrique de la composition, l'immobilisme des personnages cernés par de vigoureux traits noirs, l'absence de modèle, les visages et les parures portent la marque sassanide. Les couleurs gréco-romaines cèdent la place aux tons plus crus de l'Iran. Cet art de cour trouvera un écho dans les églises arméniennes en Sicile arabo-normande et, plus tard, dans les palais d'Afghanistan.
Arts mineurs
Les traditions iraniennes ont été si tenaces que, pendant longtemps, les spécialistes ont éprouvé des difficultés à attribuer les objets d'art mobilier des premiers siècles abbassides à l'islam ou aux Sassanides. Nous y voyons maintenant plus clair. Dans une production importante et variée, nous devons mentionner les verres, les cuivres, les bronzes et les argents, traités de la même façon, le métal étant fondu en relief et son décor estampé ou repoussé, ainsi que les tissus et les céramiques.
Sur tous ces objets n'a pas tardé à se manifester, à côté de l'influence iranienne, celle de l'Extrême-Orient, surtout au Khorasan et au Turkestan. On trouve un reflet des modèles chinois contemporains dans les aquamaniles, les fontaines, les brûle-parfum de métal. Même influence sur les tissus malgré les manufactures officielles (tiraz) : il faudra plusieurs siècles pour que le génie islamique s'en libère totalement. Le fragment de soie iranienne, connu sous le nom de « suaire de Saint-Josse » (xe s., musée du Louvre), pris parmi des centaines d'autres, fournit un splendide exemple, avec ses grands éléphants qui se détachent en clair sur un fond rouge, de la permanence de l'Iran.
Tributaires aussi de la Perse et de la Chine, les céramistes se révèlent vite doués de dons exceptionnels et variés : des objets divers, réalisés avec toutes les techniques de l'art de la terre, voisinent avec les plaques de revêtement mural. Les ateliers de Bagdad fabriquent et exportent les plus belles pour parer le mihrab de la mosquée de Kairouan. La grande découverte géniale des potiers abbassides est la céramique à lustre métallique obtenue au moyen d'oxyde de cuivre ou d'argent qui donne aux pièces un reflet doré ; on la rencontre dans tous les grands chantiers de fouilles : à Samarra, à Suse, à Rages, à Raqqa, à Fustat et jusqu'en Espagne.