Cette violence gratuite se retrouve dans de trop nombreux faits divers. L'un des plus récents est dans toutes les mémoires. À Paris, le 20 novembre, trois jeunes gens prennent le métro à la station Latour-Maubourg. L'un d'eux, Pascal, a 19 ans. Trois loubards les prennent à partie. L'un sort un couteau et blesse Pascal à la gorge. Les agresseurs descendent à la station suivante. Pascal, porté par ses amis, est pris en charge par le SAMU, mais il est trop tard. La carotide tranchée, le garçon meurt.

Deux jours plus tard, nouveau drame, toujours dans le métro. Un retraité, Victor Bordrez, sur le bord du quai à la station St-Germain-des-Prés. Il est accompagné par un ami, qui va assister, impuissant, au drame : la rame arrive, soudain un homme d'une trentaine d'années, de type asiatique, se lève du banc où il semble attendre paisiblement le métro et, d'un coup de pied, précipite Victor Bordrez sur la voie. Happé par la motrice, le malheureux est tué sur le coup. Profitant de la panique et apparemment indifférent, le meurtrier s'en va. Il sera arrêté peu après.

Un drame identique se joue le samedi 18 à la station Pont-Neuf. Raymond Gérôme (55 ans) est poussé sur la voie par un ivrogne. Il est la 4e victime, sans mobile, de tous ceux – loubards, ivrognes ou déséquilibrés – qui assassinent en sous-sol.

Ces drames, exemples typiques de violence gratuite, renforcent la psychose de peur qui grandit dans le public et justifient les efforts développés par la RATP pour intensifier les mesures de sécurité. Selon les responsables de la Régie, il faudrait tripler les effectifs de la police dans le métro.

Mais il faudrait surtout trouver l'antidote au mal sournois qui semble atteindre à l'improviste le plus paisible individu et le transformer subitement en brute sauvage : le mal de la violence.

Affaire Legras : la légitime défense devant les assises

Victime, martyr, puis héros. En six ans, un garagiste de Villenauxe-la-Grande, près de Troyes, sera passé par toutes les étapes de la canonisation sociale.

Héros, il l'est devenu le samedi 20 novembre 1982 lorsque a été connu son acquittement. Dans la salle d'audience de la cour d'assises de l'Aube, à Troyes, l'ovation qui salue l'énoncé du verdict n'a rien à voir avec la sérénité de la justice ou le Code pénal.

Dialectique

Car, pendant les deux jours de ce procès retentissant, le débat s'est réduit à une dialectique subtile entre les tenants du Code, et ceux qui partagent d'abord l'avis des braves gens.

Les faits sont archiconnus de tous les participants (Journal de l'année 1978-79). Lassé de voir son pavillon de week-end régulièrement visité (12 cambriolages en quelques mois), Lionel Legras y cache en novembre 1976 un vieux transistor bourré d'explosifs. Dans le jardin de cette maison baptisée Texas, il dispose des panneaux « Danger de mort », « Défense d'entrer ».

Mais, le 21 novembre 1976, René Vermeulen et André Rousseau, deux bûcherons désœuvrés, entrent de force dans la maison. Ils finissent par découvrir le transistor piégé. L'explosion tue le premier, arrache un œil au second.

En mai 1976, le tribunal correctionnel de Troyes condamne Lionel Legras à 8 mois de prison avec sursis pour blessures et homicides involontaires. La toute nouvelle association Légitime Défense prend son dossier en main.

De victime, le voilà devenu martyr. Avec ses soutiens, il n'aura de cesse d'obtenir une inculpation d'homicide volontaire avec préméditation, c'est-à-dire un procès en assises, où, il en est certain, les jurés populaires l'acquitteront.

Ce ne sera pas un procès de juristes. Les voisins, les maires du canton défilent à la barre pour dresser un portrait de l'accusé qui ne peut que toucher les cinq hommes – trois agriculteurs et deux retraités – et les quatre femmes qui composent le jury. « Ce père de cinq enfants, travailleur infatigable », « ce brave type non violent » explique lui-même que son but était de « marquer » ses visiteurs, afin de les confondre quand ils iraient se faire soigner.