Ce scrutin condamne la droite à se faire plurielle, à l'instar de la gauche, avec cette différence toutefois que son pluralisme procède de l'effondrement du parti dominant tandis qu'en face la force tranquille du PS assure, non sans quelques turbulences récurrentes, la cohésion majoritaire. Il engage en second lieu le RPR sur la voie de l'émancipation par rapport au chef de l'État. M. Chirac peut bien écarter d'un revers de la main la candidature de Nicolas Sarkozy à la présidence, il se révèle incapable de porter à la victoire son candidat quasi officiel : Jean-Paul Delevoye, sénateur-maire de Bapaume, est sévèrement battu par Michèle Alliot-Marie, député-maire de Saint-Jean-de-Luz. À la rondeur onctueuse de celui qui préside consensuellement l'association des maires de France, le suffrage universel des militants, invités pour la première fois à choisir leur chef à la faveur d'une consultation authentiquement démocratique, a préféré l'énergique intransigeance d'une femme de combat d'autant plus décidée à en découdre avec la gauche que l'humeur guerrière paraît bien constituer le seul dénominateur commun d'une coalition allant de Patrick Devedjian, vice-président du Mouvement européen, à François Fillon, l'anti-maastrichtien résolu.

Une gauche qui a de la chance

Les gens heureux n'ayant pas d'histoire, celle de la gauche en 1999 semble être un long fleuve tranquille. Naturellement, la majorité plurielle bénéficie par rapport à la droite d'un triple avantage : elle est idéologiquement en phase avec une opinion résignée à la poussée de la libéralisation économique et de la mondialisation, et bien décidée à défendre pied à pied ses droits acquis au cours des Trente Glorieuses et une société dont les équilibres fondamentaux continuent d'être préservés et régulés par l'État. Politiquement, l'hégémonie du vaisseau amiral PS sur la flottille d'escorteurs en tout genre qui l'entoure – communistes, Verts, radicaux de gauche et Mouvement des citoyens – reste globalement incontestée. Avec 22 % des voix, François Hollande réalise pour le compte du Parti socialiste une performance honorable aux élections européennes. Tout au plus le Premier ministre a-t-il dû désamorcer la menace de déséquilibre interne résultant de la contre-performance relative des communistes aux élections européennes par rapport à la liste des Verts brillamment conduite au succès (9,7 %) par Daniel Cohn-Bendit. Personnellement enfin, l'autorité de Lionel Jospin, confortée par des sondages inaltérablement favorables, demeure après deux années et demi de présence à Matignon plus forte que jamais. Débarrassé par un non-lieu du terrible handicap que représentait sa mise en cause dans l'affaire du sang contaminé, Laurent Fabius a certes retrouvé sa liberté de parole et d'action, mais il ne paraît pas pour autant en mesure de menacer sérieusement l'hégémonie tranquille du Premier ministre à gauche.

Conjoncturellement, les choses, là non plus, ne vont pas trop mal pour les socialistes. Seule ombre au tableau les affaires frappent à nouveau le PS et le scandale de la MNEF conduit le 3 novembre Dominique Strauss-Kahn, étoile de première grandeur au firmament socialiste, à démissionner de ses fonctions de ministre de l'Économie. M. Jospin peut toutefois se rassurer en se disant que son parti n'est pas le seul à être en butte à l'hostilité des juges. Celle-ci, tel un ange exterminateur frappant à toutes les portes marquées du signe maudit de politique, s'en prend simultanément aux socialistes, aux amis de Charles Pasqua, à l'Élysée, au maire de Paris et jusqu'aux démocrates-chrétiens du CDS, professionnels de la vertu soudain soupçonnés d'être saisis par la débauche ! « Quand je me regarde, je me désole. Quand je me compare, je me console », pourrait être tenté de se dire le Premier ministre.

Ajoutons aux bonnes nouvelles pour la gauche la croissance, qui paraît devoir s'établir à un rythme soutenu, reléguant dans un passé déjà lointain les tribulations pourtant si récentes de la crise asiatique et permettant au gouvernement de faire face, sans trop de dommages politiques et financiers, aux conséquences pour le moins incertaines du passage aux 35 heures. M. Jospin, qui n'a pas l'air pourtant d'un joyeux drille, se taille une réputation précieuse à la veille de l'élection présidentielle, celle d'un homme qui a de la chance.