Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

La démission de Dominique Strauss-Kahn

Mis en cause dans l'affaire de la MNEF, Dominique Strauss-Kahn démissionne le 2 novembre. Le départ du ministre de l'Économie et des Finances provoque la crise la plus grave du gouvernement, au moment où des indices économiques excellents lui valent une popularité sans précédent. Mais si l'événement produit quelques tensions dans la cohabitation, la droite, elle-même confrontée à une série d'affaires d'emplois fictifs, se garde de trop exploiter politiquement le départ de DSK, qui est remplacé par Christian Sautter.

Dominique Strauss-Kahn est en voyage au Viêt Nam quand il est rattrapé le 28 octobre par l'affaire de la MNEF, qui le contraint à écourter la partie privée de sa visite et à rentrer en France pour y faire face aux accusations d'« emploi fictif » dont il est l'objet. Lionel Jospin est lui-même en tournée aux Antilles quand le parquet délivre aux deux juges d'instruction parisiens chargés d'enquêter sur les dérives de gestion de la Mutuelle nationale des étudiants de France un réquisitoire supplétif pour « faux et usage de faux » visant le ministre de l'Économie et des Finances.

Les choses vont dès lors très vite. Sollicitant le ministre en qualité de témoin assisté d'un avocat, la procédure n'a certes pas le caractère judiciairement plus contraignant d'une mise en examen, formule elliptique pour désigner l'inculpation, mais elle n'en appelle pas moins des solutions radicales de la part d'un gouvernement qui se faisait fort d'avoir rompu avec l'héritage mitterrandien et ses affaires. Après d'intenses discussions à Matignon, M. Strauss-Kahn démissionne le 2 novembre, se donnant ainsi la liberté d'assurer sa défense et de prouver sa bonne foi. Une tâche effectivement difficile, même si DSK a eu tout loisir de préparer son dossier, depuis qu'en juillet 1998, au détour de l'enquête sur le scandale de la mutuelle étudiante, son nom est apparu, en qualité d'avocat-conseil, dans le cadre d'une transaction remontant aux années 1994-1996, le rachat par le groupe Vivendi (ex-Générale des eaux) d'une partie de Raspail participations et développement, une holding de la MNEF.

Une affaire de date

La mutuelle lui aurait versé à ce titre une rémunération de 603 000 F pour un travail dont il n'a cessé de clamer qu'il a été effectif, envers et contre tous ceux qui en soupçonnaient le caractère fictif. La justice, pourtant, a réuni un faisceau de présomptions qui tendraient à prouver que le ministre aurait apposé sa signature sur certains faux afin de justifier a posteriori la rétribution de cette prestation.

L'élément le plus accablant a été fourni le 14 octobre aux juges par les déclarations d'un ancien cadre de la MNEF, Philippe Plantagenest, mettant en doute le travail effectué par DSK ; l'ex-collaborateur de la MNEF, lui-même mis en examen pour « complicité d'abus de biens sociaux » dans le scandale de la mutuelle, affirme que la lettre de mission adressée au ministre pour traiter cette transaction aurait été « antidatée » sur ordre d'Olivier Spithakis, alors directeur général de la MNEF. Le ministre dément catégoriquement ces allégations, mais certains éléments techniques, comme l'utilisation de polices de caractères inexistantes à la date que porte la lettre de mission, donnent plus de poids au réquisitoire visant DSK, qui constitue le deuxième volet de l'enquête.

Et la mise en examen, le même jour, de M. Spithakis, écroué pour « détournements de fonds publics et abus de biens sociaux » vient confirmer la gravité du premier volet judiciaire de ce scandale à tiroirs dont les ondes de choc risquent d'ébranler le PS, que de multiples passerelles relient à la mutuelle étudiante. Au moment où des indices économiques au beau fixe maintiennent la majorité plurielle dans un état de grâce persistant, le départ de ce poids lourd du gouvernement, encensé à l'étranger pour une politique économique pourvoyeuse de croissance, vient gâcher la fête. La même politique économique sera certes poursuivie par Christian Sautter jusqu'au retour de DSK, dont nul ne veut douter.

Un coup dur pour le gouvernement Jospin

Mais au-delà des déclarations quelque peu convenues sur la noblesse de la décision de DSK, qui a préféré se retirer de Bercy plutôt que de risquer de perturber les indicateurs économiques par ses soucis d'ordre judiciaire, ou encore des professions de foi de M. Jospin sur l'indépendance de la justice, il s'agit d'un coup très dur pour le Premier ministre, qui se serait volontiers passé de cet exercice de travaux pratiques sur la « jurisprudence Bérégovoy-Balladur » exigeant la démission d'un ministre mis en examen. Relançant le débat sur le pouvoir des juges, les démêlés judiciaires de M. Strauss-Kahn n'ont pas manqué de susciter des tentations dans une opposition elle-même en butte à des affaires d'emplois fictifs, et qui espère avoir enfin trouvé la faille d'un gouvernement désespérément exemplaire. Pour la droite, le parallèle semble tout tracé : de même que les affaires parisiennes risquent d'éclabousser M. Chirac, de même l'affaire de la MNEF pourrait mettre en cause M. Jospin au titre de ses anciennes fonctions de premier secrétaire du PS. Les interrogations insistantes des élus de droite concernant les liens entre le PS et la MNEF, qui aurait pu faire office d'une caisse noire, provoquent des crispations au sein de la cohabitation : reprochant au chef de l'État de revêtir pour l'occasion ses habits de chef de l'opposition, M. Jospin l'a renvoyé à ses propres affaires, dans une allusion au financement du RPR par les emplois fictifs de la Ville de Paris. Comme l'an dernier, quand l'opposition avait cru pouvoir utiliser des activités non justifiées de M. Jospin au Quai d'Orsay pour riposter à la mise en cause implicite de M. Chirac, les emplois fictifs suscitent cette fois encore de graves fausses notes dans une cohabitation « harmonieuse ».