C'est dans ce contexte, passablement brumeux, que survient la décision du Conseil d'État, qui relance brutalement la balle dans le camp des institutions européennes. Pour les partisans français du développement des OGM, l'année 1999 commence donc dans un climat tendu. Quelques semaines plus tard, la grogne atteint la Grande-Bretagne. Le 12 février, le quotidien The Guardian annonce que vingt scientifiques internationaux ont signé un appel à la réhabilitation du chercheur Arpad Pusztai, suspendu par le Rowett Research Institute (Aberdeen, Écosse) en août 1998. Sa faute ? Avoir affirmé au cours d'une émission télévisée, sans publication à l'appui, que des rats nourris avec des pommes de terre génétiquement manipulées présentaient des déficiences organiques et immunitaires.

Vous avez dit OGM ?

– Quels sont les avantages éventuels des OGM ? Les plantes transgéniques pourraient accroître significativement la productivité des espèces cultivées, et permettre, à terme, de mieux répondre aux besoins alimentaires croissants de la population mondiale. Les OGM pourraient également avoir un effet écologique favorable en limitant la quantité de pesticides utilisés. Enfin, ils pourraient permettre de créer des aliments ayant des propriétés médicales.

– Quels sont les risques éventuels des OGM ? Les gènes introduits dans les OGM pourraient se diffuser à d'autres plantes ou organismes. Avec des conséquences sanitaires : la diffusion de gènes de résistance aux antibiotiques ne ferait qu'accroître la capacité de survie des organismes infectieux. Et des conséquences écologiques : en renforçant la résistance aux pesticides, la diffusion de gènes pourrait favoriser l'expansion d'autres plantes que celles visées par ces manipulations, diminuant la biodiversité globale et appauvrissant les écosystèmes.

Conférence mondiale sur la biodiversité

Comme un an plus tôt en France, les consommateurs britanniques commencent alors à exprimer une méfiance croissante vis-à-vis des OGM. « Nous avons besoin d'un moratoire », titre The Guardian. « Le gouvernement paie les géants des OGM pour les attirer en Grande-Bretagne », renchérit deux jours plus tard The Independant on Sunday, en affirmant que plus de 15 millions de livres ont été consenties, depuis 1997, aux sociétés de biotechnologie. Parmi elles, Monsanto, le géant américain pionnier des cultures transgéniques. La bataille de l'Europe contre les États-Unis commence. Six mois plus tard, et contre toute attente, elle sera presque gagnée.

Pour l'heure, l'Amérique mène encore la danse. Ce même mois de février s'ouvre à Carthagène (Colombie) une conférence mondiale sur la biodiversité, durant laquelle les États membres de l'ONU doivent élaborer un « Protocole sur la prévention des risques biotechnologiques ». Au cœur des débats : la nocivité potentielle des OGM, et la liberté de leur commercialisation, prônée par les États-Unis. Les produits transgéniques peuvent-ils s'échanger à travers le monde sans contraintes ? La préservation de l'environnement n'impose-t-elle pas des règles particulières s'opposant à la liberté du commerce ? Faut-il inscrire dans le protocole le « principe de précaution » ? Après dix jours de négociations acharnées, les délégués des 170 pays membres reconnaissent leur incapacité à s'accorder sur les règles du commerce international des OGM. Sous la pression américaine, il a simplement été décidé de « suspendre » la Conférence pour reprendre les discussions plus tard.

En attendant, le commerce des OGM reste libre, à l'exception des réglementations nationales comme celle établie par l'Union européenne. Mais ces réglementations, justifiées par la nécessité de prendre des précautions environnementales, pourraient être jugées par les principaux pays exportateurs comme une entrave à la liberté du commerce. L'absence d'un protocole international signifie qu'un tel conflit serait porté devant l'Organisation mondiale du commerce. Tel était précisément le but recherché par les États-Unis, dont l'agriculture est massivement engagée dans la production d'OGM.

Monsanto, en position de leader

Quelques chiffres seulement : en 1998, les plantes transgéniques occupent en Amérique du Nord environ 20 millions d'hectares, semés pour l'essentiel avec du maïs, du soja et du coton. Ces cultures, largement adoptées par le citoyen américain, génèrent déjà 30 milliards de dollars (26,5 milliards d'euros) de recettes d'exportation. Pour les États-Unis, la bataille économique se livre donc, d'abord, sur le front géographique : il apparaît absolument nécessaire de convaincre les Européens d'accepter les organismes génétiquement modifiés, faute de quoi les marchés d'exportation seront bloqués. L'enjeu est d'autant plus grand que les firmes concernées ne visent pas seulement le marché agricole, mais aussi celui de la transformation agroalimentaire et le marché pharmaceutique, par le biais des « alicaments » (aliments modifiés de façon à présenter des qualités médicamenteuses).