Travailler moins pour avoir plus de travail... L'équation, qui consiste à réduire le temps de travail hebdomadaire de 39 à 35 heures pour les entreprises de plus de 20 salariés en vue d'une redistribution du travail, a les apparences de la simplicité ; créant des emplois tout en donnant du temps aux loisirs, ce nouveau partage du travail qui constitue le pivot de la politique sociale du gouvernement a en outre de quoi séduire une opinion rassurée par la croissance économique et la baisse du chômage. En théorie seulement ; car, dans la pratique, appliqué à la réalité d'un monde du travail en constante évolution et à la diversité des catégories professionnelles, le deuxième texte présenté le 28 juillet par la ministre de l'Emploi et de la Solidarité Martine Aubry se révèle dans toute sa complexité et ne convainc pas davantage que le premier, entraînant de sérieuses réserves chez le patronat et les syndicats, et la perplexité chez les salariés.

L'effet Michelin

Provoquant des tensions dans la majorité plurielle, où les communistes surtout lui reprochent de ne pas aller assez loin, le projet de loi suscite une levée de boucliers à droite et dans le patronat, où l'on dénonce l'incorrigible fascination de la gauche pour l'« économie administrée ». La droite pourtant préfère ne pas s'opposer frontalement à un gouvernement déterminé à mettre en œuvre une réforme somme toute populaire et dont elle contesterait moins le principe que la forme ; elle laisse le champ libre au Medef pour mener la croisade contre cette « exception française » qui confirmerait l'archaïsme d'une gauche française toujours tentée de recourir à la coercition de l'État pour instaurer la « société de plein-emploi » exaltée par M. Jospin, au risque d'entraver la libre entreprise. La modération de l'opposition laisse le champ libre aux partenaires du PS, qui font pression sur le gouvernement en vue d'« améliorer » les 17 articles d'un projet de loi que le PCF, les Verts et le MDC jugent « invotables en l'état » à la veille de son examen à l'Assemblée, le 5 octobre, sur fond de rassemblements concurrents du Medef et des syndicats. Depuis l'annonce par Michelin le 8 septembre de la suppression de 7 500 emplois, ces composantes de la majorité plurielle exigent plus de garanties pour protéger la réforme contre les entreprises, en bataillant sur le maintien du SMIC, la durée effective du travail, le délai d'adaptation des entreprises, la rémunération des heures supplémentaires, les contreparties, en termes d'embauché, aux allégements de charges pour les entreprises passant aux 35 heures, la fin de la prime au temps partiel, la flexibilité et le régime des cadres. Au prix d'une série d'amendements, le gouvernement réussira à réunir sa majorité autour de la loi lors de son vote en première lecture le 19 octobre. Mais la question de son financement laisse prévoir des réaménagements dans une loi dont il est d'ores et déjà sûr qu'elle ne sera pas mise en chantier au 1er janvier 2000.

G. U.

La question du financement

La loi à peine votée, le gouvernement doit reculer sur son financement, intervenant dans le cadre du débat sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, engagé le 26 octobre. La veille, il renonçait à financer sa réforme en ponctionnant l'Unedic et la Sécurité sociale. Le Medef et les syndicats s'étaient opposés à tout prélèvement sur les organismes sociaux, que les représentants du patronat menaçaient de quitter, ce qui signerait la fin du paritarisme. À la place, le gouvernement utilisera, outre les droits sur le tabac, déjà prévus, les droits prélevés sur les alcools par le Fonds de solidarité-vieillesse (5,6 milliards), ainsi que le produit de la nouvelle taxation des heures supplémentaires (7 milliards). La réforme, qui se traduit par des allégements de charges, nécessite 65 milliards de francs en l'an 2000 et entre 105 et 110 milliards par an d'ici quatre à cinq ans, le financement global étant bouclé à 19 milliards près, affirme le gouvernement.

Les fruits de la croissance

La croissance a chassé la crise... Les indices économiques concordent pour montrer que la France s'installe durablement dans une croissance qui s'inscrit certes dans un contexte mondial favorable, mais qui doit aussi, quoi qu'en dise l'opposition, à la politique suivie par le gouvernement Jospin. Même le FMI, d'habitude si sévère à l'égard de la France, a salué les progrès réalisés par le gouvernement, qui y voit un encouragement pour poursuivre son action en vue du « plein-emploi ».