L'Union européenne

L'année européenne 1996 est successivement caractérisée par les présidences italienne et irlandaise, les débuts de la Conférence intergouvernementale aux Conseils européens de Turin et de Dublin, la crise de la « vache folle », les préparatifs de la phase décisive de l'Union économique et monétaire et la poursuite du processus d'élargissement de l'Union européenne (UE).

Avec les demandes d'adhésion de la République tchèque, le 23 janvier, et de la Slovénie, le 10 juin, 12 pays au total frappent désormais à la porte de l'Union européenne : 3 États baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), 5 d'Europe centrale (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie), 2 d'Europe orientale (Bulgarie, Roumanie) et 2 micro-États du bassin méditerranéen (Chypre, Malte). Si les résultats de la Conférence intergouvernementale (CIG) le permettent, les premières négociations d'adhésion pourraient s'engager en 1998.

Les débuts laborieux de la Conférence intergouvernementale

C'est au Conseil européen de Madrid, en décembre 1995, que la date du 29 mars 1996 avait été retenue pour l'ouverture, à Turin, d'une Conférence intergouvernementale des 15 pays de l'UE, chargée de réformer les institutions communautaires pour améliorer leur capacité de décision, développer la politique étrangère et de sécurité commune encore balbutiante, et perfectionner ce qui a trait au fonctionnement de la sécurité intérieure des États. Nous sommes, en 1996, à la veille de deux tournants décisifs : d'une part, adapter à la grande Europe de la fin du xxe siècle la construction européenne initialement conçue, au début des années 50, par et pour les 6 États fondateurs ; d'autre part, adapter notre modèle européen aux deux grandes mutations de notre époque : la mondialisation de l'économie et l'accélération du progrès scientifique et technique. Les conclusions du Conseil européen de Turin vont dans ce sens, même si elles gardent un caractère très général. Les Quinze déclarent vouloir une « Union plus proche des citoyens ». Cela suppose une meilleure protection contre la criminalité internationale et le trafic des stupéfiants, en même temps qu'une mise en place effective de la libre circulation des personnes, par la mise en œuvre d'une politique commune en matière d'asile, d'immigration et de visas. Une « Union plus proche des citoyens » impliquant aussi une lutte commune contre le chômage, Jacques Chirac présente un mémorandum sur la nécessaire définition d'un « modèle social européen » et Jacques Santer, le président de la Commission européenne, propose, de son côté, un « Pacte de confiance pour l'emploi » répondant à des préoccupations similaires. À Turin, les Quinze déclarent également vouloir simplifier les procédures législatives, d'une part en généralisant la codécision entre le Conseil des ministres et le Parlement européen, d'autre part en élargissant le champ d'application du vote à la majorité qualifiée, après un réexamen des normes actuelles de pondération des voix. Cette restriction de la règle de l'unanimité est justifiée à la fois par l'expérience et le bon sens : plus les États-membres sont nombreux, moins celle-ci est aisée à établir au sein du Conseil. Enfin, les Quinze expriment leur souhait de définir une identité européenne en matière de défense.

Mais ces déclarations d'intention servent aussi à masquer les divergences. Les Britanniques sont les plus réticents à ce programme. Ils veulent bien « élargir », mais sans vraiment changer les règles du jeu existantes. Ils récusent la thèse du « noyau dur », ne veulent pas accorder de nouveaux pouvoirs au Parlement européen et s'opposent à l'extension du champ d'application du vote à la majorité qualifiée. Enfin, ils ont l'intention de maintenir l'indépendance de l'UEO (Union de l'Europe occidentale), sans subordonner cette organisation de défense à l'Union européenne. À mi-chemin de la réticence britannique et des « orthodoxes » européens, la position française est favorable à l'« approfondissement de l'Europe », par le biais d'une Commission européenne qui, de composition plus restreinte, exercerait pleinement ses compétences, étant entendu que le Conseil devrait « retrouver sa place centrale dans l'édifice européen ». La France propose la création d'un poste de « haut représentant » nommé par le Conseil européen qui pourrait donner à l'Europe « un visage et une voix » et suggère que soit mise en place une instance parlementaire pouvant être consultée à propos des questions que soulève l'application du principe de subsidiarité. En ce qui concerne le Parlement européen, elle souhaite une réforme du mode de scrutin qui rende celui-ci plus proche des électeurs, ainsi qu'une simplification des procédures législatives. Enfin, la France estime que la CIG devrait fournir l'occasion de préciser les perspectives de défense commune. Encore plus éloignés des positions britanniques que la France, outre le Parlement européen et la Commission de Bruxelles, qui se veulent les interprètes de l'« orthodoxie communautaire », l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et les membres du Benelux, soutenus par d'autres pays, insistent sur le renforcement des pouvoirs de la Commission et sur l'élargissement du recours à la majorité qualifiée, y compris en matière de politique étrangère et de sécurité commune. La majorité du Parlement européen plaide pour que la codécision et l'avis conforme demeurent les seules procédures législatives, ainsi que pour l'intégration de l'UEO (Union de l'Europe occidentale) dans l'Union européenne. La Commission considère, dans son avis publié sous le titre « Renforcer l'union politique et préparer l'élargissement », que le développement de l'UE requiert un accroissement du rôle de la Cour de justice ainsi que la communautarisation des domaines intérieur et judiciaire (exception faite de la coopération judiciaire en matières pénale et policière). Elle souhaite voir la majorité qualifiée devenir la règle dans le domaine communautaire et l'élargir à celui de la politique étrangère et de sécurité commune (sauf pour les questions militaires).