Les problèmes du système de protection sociale sont de plusieurs ordres : niveau des déficits cumulés, mode de financement, amenuisement progressif du nombre des cotisants. Les trois problèmes se tiennent et une véritable amélioration des résultats financiers ne pourrait donc provenir que d'une transformation du système tout entier. Le déficit, celui du régime général surtout, continue de se creuser et pourrait encore atteindre 40 milliards en 1996 (au lieu des 17 annoncés) alors que, chômage aidant, le nombre des cotisants tend à se réduire. Le problème du financement des retraites, bien que distinct, pèse lui aussi sur l'ensemble du système général de sécurité sociale. Une révision constitutionnelle, résultat d'un très laborieux compromis entre le gouvernement et sa majorité parlementaire, est adoptée le 19 février par le Parlement réuni en Congrès. Elle doit constituer la pierre angulaire de la réforme Juppé, et institue un contrôle parlementaire sur le budget de la Sécurité sociale. Comme précédemment, le Parlement continue à fixer les taux de cotisation. Mais le rapport entre la part de financement des employeurs et des salariés (près de 80 %) et celle de l'État ne change pas, alors que les entreprises et leurs employés s'accordent pour dénoncer le poids de ces cotisations sur les coûts salariaux et sur le pouvoir d'achat des ménages et que, dans la plupart des pays d'Europe, le financement des prestations sociales est déjà majoritairement budgétisé. Le contrôle parlementaire du financement de la Sécurité sociale, sans doute justifié, est donc encore en décalage avec les sources de revenu actuelles de l'assurance maladie. De plus, les modalités de ce contrôle restent ambiguës. Finalement, sans véritable consultation, le gouvernement met en place un plan de réforme, grâce à une série d'ordonnances adoptées au début du mois de mai. Elles portent sur l'organisation des caisses de Sécurité sociale, sur la réforme de l'hospitalisation et sur la maîtrise des dépenses de santé. Des accusations fusent alors de toutes parts, reprochant au texte de rationner les soins de santé. Si, selon le ministre du Travail et des Affaires sociales, « la réforme se construit », elle se réduit pour l'instant à un nouvel impôt, nommé « remboursement de la dette sociale » (RDS), et à des mesures d'urgence, sans qu'un réel changement structurel puisse être constaté. Dans le domaine des retraites, les discussions engagées depuis plusieurs années dans le secteur privé autour de la création de fonds de pension reviennent à l'ordre du jour dès le mois de mars. Ces fonds seraient destinés, comme aux États-Unis, à compléter, voire à remplacer, l'actuel système de pensions par répartition par un système fondé sur la capitalisation. Une réforme des organismes de gestion des retraites complémentaires est amorcée à la suite de l'accord interprofessionnel signé en avril. L'objectif est d'éviter une chute brutale du montant des retraites, prévisible, selon le CNPF, qui rappelle qu'en 2010 le nombre des actifs aura été divisé par deux par rapport au milieu des années 70. L'accord, conclu pour dix ans, permet de sauver le système par répartition, au prix d'une augmentation des cotisations. Ce terme de dix ans est un peu court puisque ce n'est que plus tard que le véritable déséquilibre entre cotisants et retraités se fera sentir. Ainsi, dans tous les domaines de la protection sociale, le problème du mode de financement reste posé.

Quelles perspectives sociales ?

L'emploi est devenu un véritable enjeu politique, du moins dans les discours, sans que de réelles solutions soient encore en vue. C'est pourquoi le recours invoqué à la construction sociale européenne semble plus être un moyen de reporter ailleurs d'éventuels remèdes à cette « grande et incurable plaie nationale » du chômage, dont parle Jacques Chirac au printemps 1996. La question de l'aménagement et de la réduction du temps de travail suscite toujours de nombreuses controverses, les interrogations sur l'avenir de la protection sociale et sur celui du service public apportent leur part à l'inquiétude générale. Ainsi, la montée des tensions sociales en automne, annoncée par de nombreux commentateurs, surprend moins qu'elle ne pâtit de la comparaison avec les grandes grèves de décembre 1995. Une fois de plus, le secteur des transports est directement touché, les salariés de l'aviation civile craignant de plus en plus l'ouverture du ciel français à la concurrence. La grève des routiers, en novembre, rappelle par certains côtés les grèves de décembre 1995 : même popularité du mouvement, même peur chez certains de la paralysie économique. Elle montre aussi que les capacités de mobilisation des salariés du secteur privé ne sont pas aussi éteintes qu'on le pense parfois.

Sabine Erbès-Seguin