Pendant de longues semaines, les chrétiens libanais essuieront le feu syrien. Chaque jour, chaque nuit, le million de civils vivant en « pays chrétien » – un réduit de 800 km2 – subit l'infernal pilonnage de l'artillerie de Damas, épaulée par des miliciens musulmans, notamment les combattants druzes qui obéissent à Walid Joumblatt. Dans Beyrouth, où il n'y a plus que deux heures d'électricité par jour, seule l'efficace protection des abris souterrains épargne aux habitants un bilan plus désastreux.

La volonté syrienne de mettre à genoux les chrétiens de Beyrouth ne fait pas de doute ; mais, en quatorze ans de guerre, le Liban a connu tant de drames et suscité, hors de ses frontières, tant de commentaires, scandalisés ou apitoyés, et pas toujours sincères, qu'il semble avoir épuisé le capital de sympathie auquel son sort tragique lui donnait droit. Traditionnelle protectrice des chrétiens d'Orient, la France sera la première à s'indigner du sanglant face-à-face entre l'artillerie syrienne et l'armée du général Aoun.

Le 31 mars, dans une « libre opinion » publiée en première page du journal le Monde, François Léotard, à l'époque président du Parti républicain, qualifie d'« indigne » l'attitude de la France et exhorte le gouvernement à se montrer solidaire des chrétiens de Beyrouth. « Qu'as-tu fait de ton frère ? » lance-t-il en conclusion. L'article soulève des vagues dans la classe politique. Le 4 avril, le président Mitterrand en appelle à la « conscience universelle » en faveur du Liban où « une population tout entière risque d'être détruite dans la violence ». Le lendemain, le gouvernement « propose aux autorités libanaises une assistance humanitaire pour les populations victimes des affrontements ». Bernard Kouchner, secrétaire d'État à l'action humanitaire, est chargé d'« organiser une mission technique exploratoire ». Le 11 avril, il arrive à Beyrouth, où tout le monde ne l'accueille pas avec enthousiasme.

La France envoie « la Rance »

Les deux principaux alliés de Damas, le Druze Joumblatt et le chiite Nabih Berri ont d'ores et déjà rejeté l'aide de Paris et mis en garde contre toute entrée de navires français dans les ports libanais. La France s'efforce de calmer le jeu. M. Kouchner évoque la possibilité de renoncer à sa mission si « celle-ci devait être mal interprétée ». Pour la France, rappelle M. Mitterrand le 12 avril, « il n'y a pas lieu de choisir entre les victimes des affrontements » car « elle est l'amie des Libanais de toutes les confessions, de toutes les communautés ». Des cérémonies de prières œcuméniques ont lieu à Paris, où la communauté libanaise se mobilise.

Sur place, la poursuite des combats et les désaccords entre prosyriens retardent l'action humanitaire, baptisée « opération Acanthe ». Elle ne commence que dans la nuit du 14 au 15 avril, et sous la menace des canons syriens. Douze grands blessés chrétiens sont évacués à bord du navire-hôpital la Rance, et, après d'ultimes tractations, une soixantaine de victimes musulmanes. Mission accomplie, la France déclare vouloir « poursuivre son action diplomatique, d'explication et de sensibilisation » pour mettre un terme à l'« engrenage » de la destruction au Liban. Le 18 avril, M. Mitterrand téléphone à plusieurs dirigeants étrangers, dont MM. Bush, Moubarak, Chadli et Mme Thatcher, ainsi qu'à M. Gorbatchev, auquel il demande d'intervenir auprès de la Syrie.

Peine perdue, car les combats redoublent. Le 27 avril, la Ligue arabe, qui s'est saisie du dossier, proclame un cessez-le-feu « définitif » au Liban. Elle prévoit l'envoi sur le terrain de quelque 300 officiers arabes chargés de veiller à la trêve, mais dépourvus des moyens de la faire respecter. Pris au piège depuis six semaines, le réduit chrétien peut reprendre son souffle. Car le général Aoun a accepté le cessez-le-feu, qu'il salue comme « un pas timide dans la bonne direction ». La Syrie, elle, est satisfaite puisque le texte de la Ligue arabe passe pudiquement sous silence la présence de ses soldats au pays du Cèdre.