Le Liban entre Aoun et Hraoui

D'un côté, le général chrétien Aoun, qui anime la résistance contre l'occupant syrien ; de l'autre, le président chrétien Hraoui, protégé par Damas ; au centre, un pays déchiré, des populations martyrisées et des otages exécutés.

Au Liban, un homme aura dominé l'année 1989 : le général Michel Aoun. Par son courage et sa ferveur, par son intransigeance et son jusqu'au-boutisme aussi, qualités et défauts poussés à l'excès, le chef du cabinet militaire chrétien – l'un des deux gouvernements du pays depuis septembre 1988 – a été le personnage principal d'un nouvel acte de la tragédie libanaise, aux multiples épisodes : révolte contre l'occupant syrien, intervention humanitaire de la France, pendaison d'un otage américain, médiation de la Ligue arabe, réunion des députés en Arabie Saoudite, élection enfin de l'un des leurs, le chrétien René Moawad, comme nouveau président de la République libanaise.

Le général Aoun lance un défi à Damas le 14 mars. Ce jour-là, il prononce un véritable réquisitoire contre « l'hégémonie et l'occupation syriennes ». Il appelle ses compatriotes à une « guerre de libération », exhortant les musulmans à déclencher une « révolte des pierres » de style palestinien pour se débarrasser des 35 000 soldats de Damas. On n'avait pas entendu pareille virulence antisyrienne depuis la mort, sept ans plus tôt, de Béchir Gemayel. Son audace de ton est un véritable affront au président Assad. La Syrie, qu'on ne défie pas impunément au Liban, réagit sans tarder. Elle dénonce le « pouvoir illégal » du général chrétien et, surtout, fait immédiatement donner ses canons.

Le coup de force du général Aoun met fin à six mois d'accalmie relative pendant lesquels de féroces et sporadiques combats éclataient encore, mais à l'intérieur de chaque « camp » – comme à la mi-février – entre chiites ou entre maronites et sans trop frapper la population civile. Cette fois, le pays du Cèdre retourne à ses vieux démons. De violents duels d'artillerie embrasent Beyrouth, de part et d'autre de la « ligne verte » qui la divise. Ils marquent le début d'une nouvelle guerre qui fera en cinq mois et demi plus de 600 morts dans une capitale peu à peu vidée de ses habitants. Le Liban retrouve – et garde tout l'été – son visage des plus mauvais jours.

Un affrontement inévitable

Un visage qui, vu de l'étranger, est d'abord celui de Michel Aoun. Aussi carré de tempérament que de silhouette, le général est, à 54 ans, le prototype du baroudeur prédestiné à la carrière militaire. Issu d'une modeste famille maronite de la banlieue sud de Beyrouth, il manifeste très vite son goût pour le métier des armes et son nationalisme ardent. Gravissant tous les échelons avec méthode et sérieux, perfectionnant sa formation par des stages en France et aux États-Unis, diplômé de l'École supérieure de guerre de Paris, il s'illustre, en 1983, contre une coalition syro-palestino-druze, à la première bataille de Souk-el-Gharb. Le 21 juin 1984, il prend la tête de l'armée libanaise, avec l'accord des musulmans.

Pendant quatre ans, Michel Aoun maintient la fidélité de l'armée aux pouvoirs constitués. À l'approche de l'élection présidentielle manquée de septembre 1988, il « entre en politique » et, par une sorte de putsch légaliste, impose au président Aminé Gemayel sur le départ de le nommer « Premier ministre » chrétien face à son homologue musulman Sélim Hoss. Rétif au partage de l'autorité, il donne l'assaut, le 15 février 1989, à la puissante milice chrétienne des Forces libanaises, que commande Samir Geagea. Il la brise, sans la liquider, et lui arrache certains privilèges. Il croit alors pouvoir transposer sa victoire hors du réduit chrétien et cherche à fermer les ports illégaux de la zone musulmane. C'en est trop pour Damas et ses alliés. L'affrontement devient inévitable.

Le feu syrien

Face à la toute-puissance syrienne, Michel Aoun jouit de plusieurs atouts. Sa bonhomie et sa gouaille le rendent sympathique. Sa sincérité désarme, son patriotisme touche et convainc, son honnêteté est inhabituelle. C'est enfin un dirigeant qui dit tout haut ce que la majorité des Libanais pensent, y compris du côté musulman ! Les vérités toutes simples qu'il martèle à longueur de discours sur la nécessité de sauver l'indépendance et l'unité du Liban face à l'hégémonie syrienne expriment le bien-fondé de sa cause et entraînent l'adhésion silencieuse de beaucoup. Les Forces libanaises, oubliant que Michel Aoun les a humiliées, le soutiennent puisqu'il mène la politique qu'elles prônent de longue date. L'establishment chrétien, Mgr Nasrallah Sfeir – patriarche maronite – en tête, le suit, fût-ce parfois à contrecœur.