Dans l'après-midi, avant le match, déjà les supporters britanniques en goguette avaient provoqué divers incidents dans la capitale belge. En s'appuyant sur les sources policières, on peut rappeler : la vitrine d'une bijouterie brisée à l'aide d'une table de café par un groupe de houligans et le vol de dix millions de FB de bijoux ; un Britannique grièvement blessé d'un coup de couteau, au cours d'une bagarre entre supporters, place de Brouckère ; deux policiers blessés et un homme atteint d'un coup de poignard près du stade.

Les forces de sécurité, contrairement à ce qu'on a parfois dit, étaient fort nombreuses. Elles s'étaient préparées à la dure « troisième mi-temps », celle qui, après le match, les oppose aux houligans, dans les rues de la ville. Las ! ce fut dans le stade que tout se passa. On a évalué la note financière de tout cela ; évaluera-t-on jamais la dette symbolique ? Le prix de la casse, on peut le comptabiliser (voir encadré).

Mais, le Heysel n'est pas un événement exceptionnel, même si les circonstances l'ont transformé en fait spectaculaire et l'ont érigé en symbole d'un certain type de violence. Pour la seule année 85 et pour la seule Grande-Bretagne, on peut, sans prétendre à l'exhaustivité, rappeler :
– le match de coupe d'Angleterre entre Luton et Millwall, le 13 mars, qui fait 41 blessés (dont 31 policiers) ;
– le match de Division II Sheffield-Leeds, le 23 mars, qui fait un nombre indéterminé de blessés et entraîne 50 arrestations ;
– le même jour, dans un match entre amateurs, Exmouth-Fleetwood, 15 personnes arrêtées et, au championnat d'Écosse Hibernians-Aberdeen, un blessé grave.

Mais la Grande-Bretagne n'est pas la seule touchée et le mal ne date pas de cette année. Voici un « tableau de classement » en fonction du nombre des victimes :
– le 17 septembre 1967, à Kayseri (Turquie), échauffourées entre supporters pour un but contesté : 40 morts (dont 27 à coups de couteau) et 600 blessés ;
– le 23 juin 1968, à Buenos Aires, lors du match River Plate-Boca Juniors, les supporters du premier club allument des feux de joie. Le public croit à un incendie. L'affolement provoque 80 morts et 150 blessés ;
– le 23 mai 1964, à Lima, lors d'une rencontre opposant le Pérou à l'Argentine, un but refusé au Pérou déclenche une émeute : 320 morts et 1 000 blessés.

On le voit, il y a quelque injustice à faire de la tragédie du Heysel quelque chose d'exemplaire. Sans l'Eurovision, la catastrophe aurait suscité moins d'émoi et moins de surprise. D'autant qu'il y a quelque mauvaise foi à imputer le bilan des victimes au seul phénomène de la violence « houligane », sans tenir compte de l'effet de multiplication dû à des circonstances spécifiques, comme l'ont établi les enquêtes de l'UEFA et du Parlement belge : responsabilité relative à la vétusté du stade, carences du service d'ordre qui avait procédé à une mauvaise évaluation et choisi une implantation logistique inadéquate, imprévoyances des organisateurs qui ont laissé se côtoyer supporters anglais et supporters italiens, etc.

Abandonnons le Heysel à sa spécificité et interrogeons-nous sur la généralité du phénomène de la violence dans le sport. Notre interrogation exige deux préalables : Y a-t-il une malédiction spécifique du football ? Y a-t-il une malédiction spécifique des clubs de supporters anglais ?

Le coût de la violence

160 millions de centimes. Montant des déprédations subies par le stade du Heysel le 29 mai et acquitté par la mairie de Bruxelles.

220 millions de centimes. Montant du casse réalisé par des pilleurs dans une bijouterie du centre de Bruxelles, le jour de la finale.

500 millions de centimes. Estimation du manque à gagner en recette guichets, résultant, pour la Juventus, du déroulement à huis clos de son prochain match de Coupe d'Europe, à domicile, contre Vérone. Les droits de télévision seront versés par le club aux familles des victimes.

600 millions de centimes. Chiffre global de la perte sèche, de départ, subie par le seul club de Liverpool, du fait de son exclusion temporaire des Coupes d'Europe. La somme intègre les recettes guichets sur un match, la publicité – au profit collectif du club ou à celui individuel des joueurs –, les droits de télévision.